Verbum – Analecta Neolatina XXIV, 2023/1

ISSN 1588-4309; https://doi.org/10.59533/Verb.2023.24.1.3



Essayons d’imaginer notre avenir proche et aussi lointain. Lorsqu’il s’agit d’idées pessimistes ou au contraire enthousiasmantes, qui invitent à la réflexion à propos de l’avenir de l’humanité, avons-nous tendance à nous fier en outre des prédictions des scientifiques à celles de la littérature ? Et si cela est le cas, dans quelle mesure ? Quelles sont celles que nous considérons fiables ou prospectives, et pourquoi ? Est-ce la littérature qui est en avance sur la science pour déchiffrer l’avenir ou le contraire ? Bien que le rôle de la littérature ne se limite pas à anticiper l’avenir, les auteurs de la science-fiction ont prédit presque tous les aspects de notre monde modern souvent 30 ans à l’avance.

La fiction, contrairement à la science, a sans doute le mérite de ne pas être contrainte pas les faits : on pourrait évoquer de nombreux exemples (de Verne jusqu’à, disons, Robert Charles Wilson) pour faire démontrer que l’imagination de l’écrivain anticipe souvent sur les faits actuels, ou bien qu’elle pronostique les phénomènes qui ne deviendront factuels que plus tard. Lorsqu’on s’approche de nos questions avec précaution, on verra tout de suite que la relation entre fiction (ou spéculation) et science (ou bien entre ces deux attitudes différentes vis-à-vis du monde) n’est toujours pas une relation de concurrence : nombreux sont les cas où la fiction puise dans des connaissances scientifique (comme la hard science-fiction), mais il existe aussi des cas où les approches scientifiques peuvent elles-mêmes s’appuyer sur des spéculations. Au lieu donc de mettre l’accent sur leur relation concurrentielle, il serait de loin plus préférable et fructueux d’explorer les domaines frontalier qui profitent de la rencontre heureuse de la spéculation et de la science.

Une de ces zone frontalière est la fiction spéculative communément liée à l’essai de 1948 de Robert A. Heinlein (« On writing of Speculative Fiction »)1, que les discours scientifiques n’ont intégré que récemment. Les œuvres de cette catégorie sont plutôt celles qui partent des questions de type « que se passerait-il si… ? », ou bien « que se serait-il passé si… ? ». Que se serait-il passé si les Allemands avaient gagné la guerre ? Que se passerait-il si la Terre était envahie par des extraterrestres ? Que se passerait-il s’il s’avérait que nous, les humains, au lieu d’être vivants, nous faisons tous parti d’un logiciel de simulation ? L’approche de la fiction spéculative ne se borne pas au domaine de la littérature, bien que celle-ci offre un terrain idéal pour elle, puisque l’impératif de la vérification scientifique ne s’y impose pas.

Le roman d’Hervé Le Tellier, lauréat du prix Goncourt en 20202 s’offre également à une lecture de fiction spéculative qui rend complètement perplexe le lecteur ignorant si le récit se situe dans le passé ou bien il est projeté dans l’avenir. L’histoire se déroule en 2021, un an après la parution du livre, mais l’espace virtuel qui s’ouvre dans le roman, ainsi que la présence d’une quatrième dimension mettent en question nos certitudes relatives à l’existence d’un espace-temps conventionnel – ce qui, à son tour, comme nous le verrons, nous incitera à mettre en question la validité de l’idée collectivement conçue et jusque-là en vigueur de notre monde.

En juin 2021, un événement inattendu bouleverse la vie des passagers du vol Paris-New York. L’avion traverse une tempête de grêle et une zone de très forte turbulence. En en sortant, le capitaine demande la permission d’atterrir à New York. Et c’est à ce moment-là qu’on apprend que le même avion avec exactement le même capitaine et les mêmes passagers (à la suite d’une pareille tempête) avaient déjà atterri à New York trois mois auparavant. L’avion est donc forcé à atterrir dans une base militaire. Les doubles des 240 passagers sont isolés dans un hangar, le temps que les leaders politiques et les meilleurs scientifiques font tout pour comprendre ce qui s’est passé. Plusieurs hypothèses sont proposées à cette duplication mystérieuse, et ils finissent par conclure que la seule explication en est qu’ils vivent déjà dans une simulation.

Le roman lui-même part de l’hypothèse, bien connue dans des milieux scientifiques, de Nick Bosrom, philosophe réllement existant – mais attention, le roman devrait nous mettre en garde contre les termes hâtivement appliqués. Bostrom est professeur de philosophie à l’Université d’Oxford et auteur d’un exercice de pensée ayant pour titre « Are you living in a computer simulation? » dans lequel il déploie son trilemme devenu depuis lors classique.3 Il postule que l’une des trois propositions suivantes est nécessairement vraie :

  1. L’extinction de l’humanité doit avoir lieu avant d’accéder à la posthumanité, ça veut dire l’époque où l’on devient capable d’exécuter un nombre infini de simulations informatiques sur la vie de nos ancêtres, fidèles à la réalité.

  2. Il est vraisemblable qu’il n’existe aucune civilisation posthumaine à vouloir exécuter des simulations sur sa propre histoire, fidèles à la réalité

  3. Il est très probable que nous tous vivons déjà dans une simulation informatique.

A première vue, tout cela peut être un peu compliqué, mais bien au contraire ! Tout ce que Bostrom dit, c’est que le niveau actuel de notre développement et du rythme de notre développement technologique porte déjà le germe d’un avenir qui nous permettra de profiter d’une quantité illimitée de mémoire informatique. De plus, notre capacité de créer des mondes virtuels atteindra également un niveau tel que nous serons capables d’exécuter des simulations infiniment complexes et complètement fidèles à la réalité. Une fois cette époque sera arrivé (pourvu que l’humanité existera encore), le besoin de simuler une réalité historique ne tardera pas de se manifester. Cette simulation nous permettra de connaître la vie de nos ancêtres ou bien de voir comment l’histoire aurait évolué différemment si on y avait changé certaines choses. Et si on arrive à accéder à cette époque posthumaine, et on a envie d’exécuter des simulations (ce qui veut dire que 1. et 2. point sont également faux), il reste deux options :

     3/a.) nous sommes les tous premiers à accéder à cette époque, par conséquent, nous sommes également les premiers à exécuter de telles simulations, ou bien

     3/b.) ces simulations sont déjà en cours d’exécution, ainsi nous faisons tout bonnement parti de l’une d’entre elles.

Compte tenu du fait qu’à l’époque posthumaine l’immensité des capacités informatiques nous permettra d’exécuter plusieurs simulations de réalité en même temps (ou bien, si vous voulez, de créer plusieurs mondes simulés), et que la réalité reste unique, si le point 3. est vrai, 3/a. a très peu de chance d’être vrai, par rapport à 3/b. Ce qui nous amène à conclure que nous aussi, nous vivons dans une simulation.

L’hypothèse de simulation – dont la jolie équation, présente dans le roman4 – hante, agace et éblouit la science dès son apparition, non parce qu’on n’a jamais pu la valider, mais parce qu’on n’a jamais pu, efficacement, la réfuter.

L’important est ceci – résume le chef de l’équipe des scientifiques à Donald Trump, étonné et incompréhensif – : une civilisation hypertechnique peut stimuler un millier de fois plus de ‘fausses civilisations’ qu’il n’y en a de ‘vraies’. Ce qui signifie que si on prend un ‘cerveau qui pense’ au hasard, le mien, le vôtre, il a 999 chances sur 1000 d’être un cerveau virtuel et une sur 1000 d’être un cerveau réel. Autrement dit, le ‘Je pense donc je suis’ du Discours de la Méthode de Descartes est obsolète. C’est plutôt : ‘Je pense, donc je suis presque sûrement un programme’. Descartes 2.0, pour reprendre une formule d’une topologiste du groupe. Vous me suivez, président ?5

La théorie de Bostrom est loin d’être une simple reformulation de la philosophie cartésienne, puisqu’au lieu de se préoccuper de questions épistémologiques, elle fait simplement l’inventaire des propositions qui soutiennent l’idée que nous vivons dans une simulation. Pourtant, on trouve un point de convergence entre les approches de Bostrom et de Descartes. Chacune des deux part de l’idée que le monde peut être saisi non par la sensation, mais par la raison. De plus, toute la philosophie transhumaniste de Bostrom – dont le but principal est de perfectionner les capacités humaines à l’aide de la technologie – conserve les évidences d’une vision anthropomorphique cartésienne du monde, fondée sur la raison et l’intellect humains. Comme le texte de « Why I Want To be a Posthuman When I Grow Up » (2008)6 nous indique : il comprend le posthumain comme une sorte de perfectionnement et d’apothéose.

Il est clair que le roman de Le Tellier s’inscrit dans ce contexte de post- et transhumanisme qui étudie la condition humaine dans ce contexte de tous ces changements ontologico-épistémologiques, scientifique et biotechnologiques. Dans ce contexte qui, comme les théoriciens de cette question comme Rosi Braidotti ou David Roden le suggèrent, est très hétérogène, voire divergent.7 Car le posthumanisme est loin d’être une tendance bien définie ou cohérente, lui-même reflétant plutôt un ensemble hétérogène de façons de parler, réunissant les visions relatives à l’avenir des romans cyberpunk, les raisonnements des théoriciens de la postmodernité, des dogmes pseudo-religieux, les résultats les plus récents des sciences humaines et naturelles et des spéculations futurologiques.

Cette hétérogénéité caractérise également l’ouvrage de Le Tellier. L’anomalie s’appuie sur toute une série de codes de genre divergents, voire contradictoires. L’un de ces genres, c’est le cyberpunk, une sorte de science-fiction postmoderne qui, dans les années ’80 et ’90 s’est évoluée dans tout un mouvement, inspirant toute une série de romans cherchant à explorer l’expérience des sociétés occidentales médiatisées, postindustrielles du capitalisme tardif. De plus, en dépassant les limites de la littérature, elle a également inspiré des cinéastes, des créateurs de dessins animés et de jeux vidéo, ainsi que des innovations dans l’informatique. Le cyberespace et le métavers qui apparaissent dans les romans fondateurs du genre de William Gibson (Neuromancien) et de Neal Stephenson (Le Samouraï virtuel) peuvent être considérés comme les précurseurs de Second life, jeu vidéo en ligne, et ont également servi comme source d’inspiration pour Meta de Mark Zuckerberg, une version augmentée de Facebook créant une sorte de réalité virtuelle et étendue.

Are we living in a computer simulation ? – pourrait-on demander avec Bostrom: We don’t know. Puisque nul ne peut ni prouver, ni réfuter, et ce ni par la voie de nos sens, ni par celle de notre intellect que nous vivons dans une simulation (pour l’instant ce n’est qu’une hypothèse). Sauf si une anomalie se présente dans le système. Les scientifiques chez Le Tellier concluent qu’il ne s’agissait pas d’une erreur dans la simulation lorsque le même Boeing-787 surgissait des nuages avec les mêmes passagers trois mois plus tard, parce que rien n’aurait empêché de restituer un état antérieur de quelques secondes, mais ils doivent plutôt être soumis à un test : comment réagissent des êtres virtuels lorsqu’ils découvrent que leur existence est virtuelle ?

Pour évoquer les constatations de Bostrom : lorsque la science aura atteint un niveau qui nous permettra de créer des mondes simulés, il est certain qu’on en créerait plusieurs. Grâce à leurs ordinateurs hyperpuissants, les futures générations auront l’occasion d’exécuter des simulations détaillées de leurs ancêtres ou de gens pareils, voire exécuter des simulations parallèles. Cela permettra d’explorer les questions de type « Que se serait-il passé si… » . Pour continuer cet exercice de pensée, dans ce cas-là, soit nous sommes les simulations d’une civilisation plus développée de nos descendants, soit une simulation possible et peut-être même pas la meilleure de l’ontogénèse humaine et de l’histoire. Ce qui veut dire que ce monde simulé est loin d’être le meilleur des mondes possibles.

 Ou bien […] – et je cite de nouveau les paroles de l’un des cerveaux brillants du roman – sommes-nous les simulations d’un monde de Cro-Magnon par des Neandertal, cette race de sapiens qui, elle contrairement à ce qu’on croit, a vraiment réussi, voici cinquante mille ans ? Au point de vouloir voir ce que ces primates africains hyperagressifs auraient bien pu accomplir s’ils n’avaient, les pauvres, disparu ? Eh bien, c’est gagné, ils le savent maintenant, le Cro-Magnon est si indécrottablement abruti qu’il a ravagé son environnement virtuel, détruit ses forêts et pollué ses océans, s’est reproduit jusqu’à l’absurde, a brûlé toute l’énergie fossile, la quasi-totalité de l’espèce va mourir de chaud et de stupidité dans à peine cinquante ans simulés.8

Certes, les hommes se préoccupaient depuis toujours de la question à savoir si le monde qui nous englobe est bien réel ou pas. Les cultes et les philosophes les plus anciens cherchaient déjà à y répondre. (Le Tellier disait dans un entretien, sur un ton auto-ironique, que son roman tourne autour d’une question de bac de philo.)

[…] si cette hypothèse est la bonne, alors nous vivons une allégorie de la caverne, mais à la puissance n. Et c’est insupportable : passe encore que nous n’accédions qu’à la surface du réel, sans espoir d’accéder à la vraie connaissance. Mais que même cette surface soit une illusion, c’est à se flinguer.9

Le problème, comme on le voit, ne fait que se compliquer davantage avec le développement technique. Le tournant théorique et esthétique du posthumanisme est aussi lié à notre volonté d’imaginer et de comprendre une réalité cybernétique créée par les nouvelles technologies numériques. Les changements scientifiques et technologiques, ainsi que les tendances culturelles témoignent de la transformation radicale de la façon dont on perçoit la modernité et de l’humanisme. Dans son essai intitulé « Working towards the Posthumanities », Rosi Braidotti prétend que les sciences humaines ne seront pas capables de sortir de leur crise actuelle sans s’adapter, de façon radicale, aux changements technologiques et géopolitiques.

Nous avons besoin de schèmes de pensée et de cadres théoriques nouveaux qui nous permettront de prendre en compte les changements et les transformations considérables. Et nous avons surtout besoin de reconsidérer notre subjectivité d’un point de vue à la fois posthumain et postanthropocentrique. 10

Est-ce qu’une telle reconsidération est présente dans le roman de Le Tellier ? Si la condition posthumaine exige un changement fondamental dans la façon dont on pense les relations humaines et le monde ambiant, dans quelle mesure L’anomalie répond-elle à cette exigence ? Comme selon la métaphore centrale de Le Samouraï virtuel, les humains ne sont que des ordinateurs que la programmation du logiciel culturel permet de dominer, chez Le Tellier les gens sont des programmes mathématiques qui sont, pour une raison inconnue, soumis à une épreuve de simulation.

Il nous semble que l’auteur, tout en mettant partiellement entre parenthèses ce défi gigantesque de notre époque, examine plutôt le cas des 241 passagers qui sont obligés de rencontrer, voire de vivre ensemble avec leur doubles. La question « Que se serait-il passé ? » se déploie dans une perspective de 3 mois, et la vision transhumaniste débouche sur le thème du Doppelgänger. En l’espace de 3 mois des changements considérables peuvent se produire, le roman suit le sort de 10 passagers dont il a en a qui meurt de cancer, une autre tombe enceinte, un autre se suicide ou encore se trouve abandonné par son amants etc. Tout un groupe de psychologues œuvrent à ce que ces passagers puissent supporter non seulement l’idée qu’ils ne sont que des programmes, mais aussi qu’ils sont désormais dupliqués. Bien qu’on ignore la nature exacte de cette épreuve de simulation, il est certain que les passages doivent faire face à de grandes difficultés. Ils sont contraint de partager toute leur existence – y compris leurs foyers, leur travail, leurs comptes bancaires, et encore leurs conjoints, leurs amants secrets et leurs enfants – avec leurs doubles.

Dans ce roman – sans doute destiné à devenir un best-seller – toute est misé sur les émotions et est plein d’humour et d’intrigues, ce qui écarte considérablement l’angoisse qui caractérise normalement les visions du monde non-humain et posthumain. Le sort – ou plutôt le logiciel – veut que, en travaillant ensemble sur le cas, la topologiste et le mathématicien de l’Université de Princeton, expert en calcul de probabilités, tombent amoureux l’un de l’autre. Le mathématicien en parle ainsi :

Il la regarde avec un enchantement vermillon dans le cœur. […] Peut-être tout cet élan vers elle est-il aussi programmé? Il s’en fout. La vie commence peut-être quand on sait qu’on n’en a pas. Qu’est-ce que ça changerait pour eux, après tout? Simulés ou non, on vit, on sent, on aime, on souffre, on crée, et on mourra tous en laissant sa trace, minuscule, dans la simulation. À quoi sert de savoir? Il faut toujours préférer l’obscurité à la science. L’ignorance est bonne camarade, et la vérité ne fabrique jamais du bonheur. Autant être simulés et heureux.11

La situation exige une clarification non seulement scientifique, mais théologique aussi. A cet effet, les chefs des religions pratiquées dans le pays sont convoqués à la Maison Blanche. Il est clair que « l’immobilité de la Loi vient se cogner avec obstination à la valse du cosmos et à l’avancée des savoirs »12, et que ni la Torah, ni le Nouveau Testament, ni le Coran ne permet de donner une explication à ce qui s’est passé. L’une des scènes les plus sarcastiques témoigne du fait que notre concept habituel de l’homme est indéplacable : les leaders religieux – ignorant complètement la crise de la vision du monde humaniste – s’engagent dans un débat théologique stérile sur la question à savoir si Dieu a, oui ou non, créé l’homme simulé à sa propre image.

La fragilisation de la causalité dans le monde favorise la postmodernisation des genres littéraires spéculatifs. Tandis que la science-fiction classique était en affinité avec le roman scientiste-positiviste du 19e siècle, le cyberpunk du roman postmoderne s’immerge dans une sorte d’esthétique et de vision du monde caractérisées par l’incertitude. Cet espace – qui est plutôt une configuration topologique qu’une véritable espace – existe parallèlement à l’espace de la narration et allégorise la lecture et la technologie. Dans l’avion de Le Tellier – quelle surprise ! – se trouve également un écrivain, Victor Miesel qui, après la tempête de mars et l’atterrissage, sombre dans une humeur étrange, finit son roman intitulé L’anomalie, puis se suicide. Jusque-là l’écrivain n’a connu qu’un succès modéré, bien que son roman Des échecs qui ont raté ait figuré, pour un moment, sur la liste Goncourt. La machinerie littéraire se met tout de suite en marche, et non indépendamment de cette issue tragique, le livre finit par connaître un succès inouï (vendu en 200.000 exemplaires), gagne des prix posthumes et des associations portant son nom se fondent un peu partout, etc.

Le romancier assis dans l’avion de juin, donc celui qui n’a jamais fait paraître un roman sous ce titre, obtient tout le succès littéraire, lui tombant du ciel, et le fait qu’il « ressuscite » après sa mort a de quoi faire sensation. Dans son livre conçu autour d’aphorismes (et qui, d’après ses propres mots, aurait l’allure d’un roman écrit par Jankélévitch sous LSD) il ne reconnaît ni ses propres sujets, ni son propre style, L’anomalie n’étant comparable à aucun de ses textes précédents. « Considéréz-vous que L’anomalie soit un livre de vous? » – lui demande-t-on lors d’une conférence de presse internationale sur « La vie double de Victor Miesel ». Définissez: « vous ». – réplique-t-il.13

Bien sûr, il ne s’agit pas simplement d’une métalepse qui met en question la séparation du fictif et du réel, mais d’une véritable logique de simulation. Si l’hypothèse de Bostrom s’avère juste, le roman de le Tellier intutilé L’anomalie n’est qu’un des romans possibles consacrés aux anomalies de la technologie virtuelle qui déraille le monde que nous croyons réel et met radicalement en question l’identité humaine. Ce livre de l’un des mondes parallèles possibles, tout en reliant le fictif el le virtuel, ne peut à sa propre façon, que nous furnir peu de moyen pour l’imaginer l’inimaginabe.

Références

Bosrom, N. (2003) : Are you living in a computer simulation? Philosophical Quarterly 53(211) : 243–255. https://doi.org/10.1111/1467-9213.00309

Bosrom, N. (2008) : Why I Want to be a Posthuman when I Grow Up. In: B. Gordijn & R Chadwick (eds) : Medical Enhancement and Posthumanity. The International Library of Ethics, Law and Technology, vol 2. Dordrecht : Springer. https://doi.org/10.1007/978-1-4020-8852-0_8

Braidotti, R. (2013) : The Posthuman. Cambridge : Polity Press.

Braidotti, R. (2014) : Working towards the Posthumanities. Trans-Humanities Journal 7(1) : 155–176. https://doi.org/10.1353/trh.2014.0023

Heinlein, R. A. (1990) : On writing of speculative fiction. In : G. Dozois, T. Lee, S. Schmidt, I. R. Stro & S. Williams (eds.) : Writing Science Fiction & Fantasy: 20 Dynamic Essays by the Field’s Top Professionals. New York : St. Martin’s Griffin. 5–12.

Le Tellier, H. (2020) : L’anomalie. Paris : Gallimard.

Roden, D. (2015) : Posthuman Life. Philosophy at the Edge of the Human. New York : Routledge.


  1. Robert A. Heinlein: « On writing of Speculative Fiction », in : Gardner Dozois, Tine Lee, Stanley Schmidt, Ian Randal Stro, Sheila Williams : Writing Science Fiction & Fantasy: 20 Dynamic Essays By the Field’s Top Professionals, New York : St. Martin’s Griffin, 1990 : 5–12.↩︎

  2. Hervé Le Tellier : L’anomalie, Paris: Gallimard, 2020.↩︎

  3. Nick Bosrom : « Are you living in a computer simulation? », Philosophical Quarterly 53(211), 2003 : 243–255.↩︎

  4. L’équation c’est: Fsim = (fpfiNi)/((fpfiNi)+1). Superintelligence de Bosrom, méditant sur les perspectives d’une intelligence informatique supérieure à celle des humains, est devenue un véritable livre culte. L’hypothèse de simulation est également ardemment défendu par des représentants du progrès scientifiques tels que Elon Musk qui est de l’opinion que les chances pour que nous ne vivons pas dans une simulation sont 1 sur 1 milliard.↩︎

  5. Hervé Le Tellier : L’anomalie, op.cit. : 169.↩︎

  6. Nick Bosrom : « Why I Want To be a Posthuman When I Grow Up » 2008 : 107–137.↩︎

  7. Rosi Braidotti : The Posthuman, Cambridge: Polity Press, 2013; David Roden : Posthuman Life. Philosophy at the Edge of the Human, New York : Routledge, 2015.↩︎

  8. Hervé Le Tellier : L’anomalie, op.cit. : 197–198.↩︎

  9. Ibid. : 195.↩︎

  10. Rosi Braidotti : « Working towards the Posthumanities », Trans-Humanities Journal 7(1), 2014 : 155–176.↩︎

  11. Hervé Le Tellier : L’anomalie, op.cit. : 199–200.↩︎

  12. Ibid. : 179.↩︎

  13. Ibid. : 274.↩︎