Verbum Analecta Neolatina XXI, 2020/1–2

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Les hasards du voyage

Quoi de plus surprenant au premier abord qu’une tentative de Casanova (1725–1798) visant à se faire moine? Pourtant, non seulement les péripéties narrées des voyages de l’aventurier réservent des découvertes aux lecteurs, mais ses œuvres témoignant d’une érudition et d’un intellect remarquables montrent une réflexion constante sur la religion et la théologie tout au long de sa vie. On peut proposer plusieurs approches pour l’examen de la problématique: à la surface, il s’agit d’une anecdote amusante racontée dans les mémoires (Histoire de ma vie1). Casanova présente lui-même comment il voulait se faire moine cédant à un caprice passager, mais si l’on creuse un peu plus, on arrive à une couche souvent occultée, plus profonde du personnage qui s’avère être penseur et théologien, auteur de nombreux ouvrages sur la Bible et la religion, donc préoccupé sérieusement par les grandes questions de la foi.

Voyons avant tout les circonstances du séjour à Einsiedeln et les conséquences d’une décision subite. Lors de ses nombreux voyages en Europe, Casanova sillonne l’Allemagne et de Stuttgart, il doit fuir pour quitter tout le comté de Bad-Würtemberg et passe en secret en Suisse. En route, il se trouve aux environs de Zurich et s’arrête là. Il a 35 ans (en 1760) et en attendant, puisque depuis 1756, sa fameuse fuite des Plombs, il est expulsé de Venise, sans but précis, il vagabonde. Dans l’incertitude et épuisé par les grands dangers juste évités, il se laisse aller au gré des vents. En faisant une excursion dans les montagnes des environs, le spectacle majestueux de l’église du couvent des Bénédictins (Notre Dame des Ermites) le touche profondément. En entrant dans l’édifice, le recueillement inspiré par les lieux transforme d’un seul coup son errance en pèlerinage. Ayant engagé une conversation en latin avec l’abbé dans la sacristie, il peut entrer dans le monastère également et logé par les moines, une vocation religieuse se révèle à son cœur: « Je prends la résolution de me faire moine. Je me confesse. Délai de quinze jours. Giustiniani capucin apostat. Je change d’idée: ce qui m’y engage2. »

La motivation psychologique

En vue de comprendre les motifs d’une décision aussi subite, il faut remonter dans le temps: il venait à peine d’échapper à la prison ou à l’armée et il est tout ébranlé. A Stuttgart, il s’est laissé entraîner dans un endroit suspect, mal famé – comme il l’a appris plus tard – par trois officiers inconnus, en fait trois scélérats qui l’ont poussé à jouer aux cartes avec eux. On lui a offert à boire aussi et il devait y avoir de la drogue dans le vin, puisqu’il ne se rappelle de rien en se réveillant dans cette compagnie. Apparemment, il s’était endetté envers eux avec une somme astronomique et il devrait les rembourser. N’ayant aucun souvenir de ce qui a pu se passer, il refuse de payer et décide de cacher son argent et ses bijoux précieux. Le lendemain, les revendications deviennent plus sérieuses: il devrait choisir entre le remboursement ou la prison. En tous cas, on le fait surveiller par un gardien dans son auberge et il tente de faire appel au duc. Celui-ci, au lieu de lui donner raison et faire justice, aggrave les menaces: s’il ne paye pas, il sera embrigadé dans son armée. Devant cette perspective effrayante, il décide de s’évader avec l’aide de son valet et de ses amies danseuses et comédiennes en montant toute une pièce de théâtre improvisée qu’il présentera avec succès. Pour déjouer l’attention de son gardien, il se remplace par une poupée habillée comme lui, couchée dans son lit, pour qu’il puisse sortir de l’auberge et quitter le comté dans la nuit à cheval en toute hâte. Les détails de cette comédie périlleuse mériteraient une analyse plus approfondie comme preuves du sens théâtral de Casanova, metteur en scène de sa propre vie, mais cette fois-ci nous nous concentrerons sur ses états d’âme.

Sorti à peine de la panique de se voir soldat, ayant besoin de repos, le voilà bien disposé à tout refaire. Pour éviter les risques de son métier bien dur d’escroc et d’aventurier, il commence à méditer dans son auberge de Zurich:

« Seul après souper, […], je m’abandonne à mille réflexions sur ma situation du moment et sur ma vie passée. Je me rappelai mes malheurs et ma conduite. Je ne fus longtemps à reconnaître que tous revers que j’avais éprouvés m’étaient arrivés par ma faute et que je m’étais presque toujours joué de la fortune lorsqu’elle m’avait comblé de toutes ses faveurs. Je venais d’éviter un piège où je pouvais périr et où la honte m’attendait malgré mon innocence et je frémis à cette idée. Je pris la résolution de n’être plus le jouet de la fortune et de sortir entièrement de ses mains3. »

Il peut envisager un avenir plus calme, ayant sauvé du piège une somme énorme (cent mille écus). Déjà dans la nuit il rêve d’une solitude et d’un bonheur paisibles. Dans ses songes enchanteurs, il se voit dans un beau paysage tout libre et tout heureux. Soudain, un réveil inattendu le tire de ses rêveries et le confronte à la réalité. Par un réflexe naturel, il cherche à réaliser cet état de bonheur et sort pour battre la campagne avec l’espoir de retrouver le paysage entrevu dans son sommeil : «Après avoir marché pendant une heure absorbé dans la contemplation de mon rêve, je me réveillai pour ainsi dire, en sursaut, et je me trouvai dans une gorge entre deux hautes montagnes.4» En continuant son chemin, il se dirige dans une plaine d’où il découvre émerveillé un spectacle magnifique: une église à architecture symétrique qu’il suppose appartenir à un couvent. Visiblement, tout est réuni à une révélation: le repentir s’exprime encore sans motif religieux, mais le bilan de la vie est établi et suggère une solution inattendue. Il est vrai que l’explication des malheurs est fondamentalement cérébrale, mais les émotions, surtout la peur, s’emparent de lui. Tout le prépare ainsi à une confession dictée par le repentir du pécheur. Il reconnaît que ses revers ont été attirés par sa propre faute et il fait face à l’irresponsabilité indubitable de son comportement.

Et miracle, les hasards du voyage le conduisent cette fois-ci dans l’endroit propice à l’épanouissement de ses vœux. Avant tout, il est conditionné à la conversion par la surprise de la beauté de l’église inconnue d’où sortent les mélodies d’une messe chantée qui le plonge dans des méditations métaphysiques, puis par les rencontres qu’il fait dans le couvent où il est très bien accueilli. La variété des circonstances et les découvertes imprévues caractérisent les voyages et dans le cas de Casanova tout concourt vers le même but. De premier abord, c’est le plaisir esthétique qui le conquiert: « Je trouve la porte de l’église ouverte, j’y entre et je demeure émerveillé devant la richesse de ses marbres, de la beauté des ornements des autels et après avoir entendu la dernière messe, je me rendis dans la sacristie où je trouvai une foule de bénédictins5. » Une chance de plus, l’abbé le reçoit les bras ouverts et lui propose de faire une visite guidée des lieux avec deux autres frères. L’accueil amical et fraternel ajoute à l’émerveillement du voyageur sortant d’un milieu hostile. L’abondance des objets précieux, des chasubles, des vases, le tout doré et richement décoré finit par l’éblouir. La puissance de cet ordre bénédictin lui en impose aussi probablement. La visite guidée se prolonge et l’ennuierait si l’abbé ne lui racontait la légende de la fondation du lieu: « que c’était la seule église au monde qui avait été sacrée par Jésus-Christ en personne6. » On lui en montre la « preuve », « l’empreinte du pied de Jésus sur un morceau de marbre sur le pavé ». Le cynisme de Casanova ne se laisse pas désarmer si facilement, il prend pour balivernes les commentaires enthousiastes de son guide, mais il réprime sagement son envie de rire à la face d’un personnage si honorable: « Cet abbé, enchanté de la docile attention avec laquelle j’avais écouté son fagot, me demanda où j’étais logé […]7. » Le récit de son voyage qui l’a mené directement au monastère fait apparaître sa visite comme l’heureuse étape d’un pèlerinage et l’abbé voit tout de suite dans cet enchaînement des circonstances une conversion possible et tout ému il lève les mains vers le Ciel : « […] comme pour remercier Dieu d’avoir touché mon cœur pour aller en pèlerinage porter là mes scélératesses, car à dire vrai, j’ai eu toujours eu l’air d’un grand pécheur8. » L’abbé l’invite à déjeuner (il est à jeûne) et il accepte avec plaisir sachant que « dans pareil lieu on trouve généralement bonne chère ». Suivent des repas luxueux, les délices de la bibliothèque très riche, voire somptueuse, puis une entrevue secrète (en tête-à-tête) avec l’abbé qui lui inspire une confession sincère: « Voilà comme je me suis engagé à me confesser à lui sans en avoir eu la pensée avant l’instant. C’était ma marotte9. » Cela convient parfaitement à son caractère impulsif et au principe de vie « Sequere Deum » qu’il avait adopté très tôt : « Lorsque je suivais une idée spontanée, quelque chose que je n’avais point prémédité, il me semblait que je suivais les lois de mon destin, que je cédais à une volonté suprême10. » Ainsi subit-il une illumination, renforcée par l’envie de rester dans le monastère comme membre de l’ordre : Je désire, – lui dis-je –, mon Révérendissime, vous faire une confession générale de tous mes péchés, afin de pouvoir demain, lavé de tous mes crimes, recevoir la sainte Eucharistie11. » Il se rappelle et entrechaîne pendant trois heures « toute une foule d’histoires scandaleuses, mais que je racontai sans sel, puisque j’étais dans une disposition ascétique, […]12. » Remarquons qu’en évoquant ses fredaines, il éprouve un plaisir de les rappeler, plaisir qu’il se garde de partager avec l’abbé. Après l’absolution, son confesseur lui conseille de se retirer dans une chambre solitaire pour passer le reste de la journée en prières pour se préparer à communier le lendemain à la première messe. Son rêve de la veille devient-il réalité ? Il en est intimement convaincu et pense offrir dix mille écus à l’ordre pour constituer une rente viagère. Toutefois, le doute que ce repentir ne durera pas toute sa vie ne le quitte pas et lui suggère de prendre des précautions, de demander dix ans de noviciat. Il élabore tous les détails par écrit avant de se coucher pour remettre sa demande bien formulée le lendemain à l’abbé. Tout se passe bien, mais l’abbé, probablement en grand connaisseur du cœur humain, lui impose quinze jours de délai avant de donner sa réponse. Ce qui plus est, il le renvoie à Zurich pour mûrir sa décision en lui promettant de le chercher lui-même au bout de ce terme dans la ville.

La fin prévisible de l’histoire justifie la précaution : quand le prélat se présente le jour fixé, il apprend que Casanova avait changé d’avis et il accepte cette décision. Visiblement, il s’attendait à un tournant pareil et argumente même pour le fortifier en disant qu’il est plus sûr d’avoir le salut dans le monde que dans un endroit retiré comme les cloîtres. Casanova passe donc la conscience tranquille, sans remords à une grande aventure passionnée qui le préoccupera pour un certain temps avec une jolie dame arrivée dans l’auberge du lieu le jour de l’entrevue avec l’abbé.

Voyages au pluriel

Sans vouloir définir ici les nombreuses sortes de voyages (tourisme, pèlerinage, pérégrinations, voyages d’agrément, d’études, exil, commerce, missions politiques, diplomatiques, explorations, le Grand Tour, etc.), je n’aborderai que celles que Casanova avait pratiquées : voyage d’agrément, d’études, missions diplomatiques, négociations commerciales (projets offerts aux grands souverains de l’époque) et errances sans but, tous ces déplacements devant être replacés dans le contexte de 33 ans d’exil. A partir de 1756 (fuite des Plombs), il passe 18 ans sur les routes en rêvant de retourner dans sa ville natale et y faire fortune. On connaît l’échec de ce plan de vie et la seconde expulsion de Venise (1783) qui durera l5 ans jusqu’à sa mort. D’autres fuites moins fameuses (Stuttgart, Corfu, Madrid, Londres, etc.), mais dangereuses ont suivi et l’ont orienté souvent malgré lui. Si on met en relief parmi ses voyages ceux qui ont éveillé dans l’aventurier la spiritualité qui hantait toute sa vie, il faut diviser sa carrière en deux: la période d’avant la fuite des Plombs et celle d’après. La contrainte l’oblige à fuir Venise et l’exil détermine ses itinéraires et ses séjours. L’autre facteur déterminant est celui de la vie d’aventurier: sans domicile et poste fixes, il est obligé de trouver des toits, de gagner sa vie et d’assurer sa liberté dans des situations à risque. La fin des errances sera marquée par la pauvreté et l’installation à Dux, en 1785. Après, l’engagement au service du comte de Waldstein comme bibliothécaire l’attache au château de Dux (en Bohême) jusqu’ à sa mort. Avec quelques voyages à Dresde, Carlsbad, Teplitz, Prague, il passe son temps à Dux et plonge dans la dépression, contre laquelle, suivant les conseils de son médecin, il se met à rédiger ses souvenirs dans plusieurs textes dont les mémoires.

En suivant les définitions strictes, Casanova n’a jamais fait de tourisme, avec une seule exception quand il a visité la Fontaine de Vaucluse. Cette unique initiative consciente constituait un vrai pèlerinage littéraire dans le but de rendre hommage à Pétrarque. En voilà le résumé: il part en excursion à partir d’Avignon. Le détour à Fontaine-de-Vaucluse vise à voir la maison de Laure de Pétrarque et les lieux : « N’ayant eu l’intention de m’arrêter à Avignon que pour aller voir Vaucluse et la fameuse fontaine qu’on appelle la cascade, je n’avais pas pris des lettres13. Un Italien qui a lu, entendu et goûté Pétrarque doit être curieux de voir l’endroit où ce grand homme est devenu amoureux de Laure de Saade14. »

L’arrière-plan religieux

Les voyages préconisent en fait les surprises et les nouvelles émotions, mais la pause et le recueillement à Einsiedeln, entre des périodes mouvementées de la vie de l’aventurier, correspond toutefois à un fond de religion constant. Le dévouement à Dieu et à la foi en la providence habite Casanova depuis sa jeunesse et lui inspire comme principe de vie la volonté divine : « Sequere Deum ». L’ambiguïté de cette foi, pareille au pari de Pascal, ressort plus d’une fois de ses récits, mais elle a engendré également plusieurs ouvrages de théologie et de philosophie. Il a rédigé plusieurs préfaces à ses mémoires pour développer sa vision du monde, et celles-ci résument ses vues et son rapport à Dieu, très complexe. Il faut y ajouter que, par-dessus les considérations pragmatiques, il est sensible à diverses formes de transcendance: foi, religion, déisme et mysticisme (y compris la Kabbale, la magie, des croyances et des superstitions).

Des Préfaces successives15, c’est la définitive qui éclaire le plus amplement sur le genre de foi que Casanova avait formé pour se guider. Les mémoires commencent ainsi par ses opinions sur la prière et une confession sur sa foi. Après une déclaration de sa liberté comme sa plus ardente ambition, il réfute l’accusation éventuelle d’être athée : « Je suis non seulement monothéiste, mais chrétien fortifié par la philosophie qui n’a jamais rien gâté. » Tout au début donc il affirme sa foi et sa fidélité à Dieu : « Je crois à l’existence d’un Dieu immatériel créateur, et maître de toutes les formes ; et ce qui me prouve que je n’en ai jamais douté, c’est que j’ai toujours compté sur sa providence, recourant à lui par le moyen de la prière dans toutes mes détresses ; et me trouvant toujours exaucé16. » Suit une explication pour le moins curieuse de ses pratiques religieuses qui consistent à se reposer physiquement et spirituellement dans la prière. Il considère le temps de s’adresser à Dieu comme une pause salutaire dans les agitations de la vie, cette méditation servant à rassembler ses forces pour un nouveau départ. Il le considère aussi comme un remède contre la dépression et la fatigue sentimentale ou spirituelle: « Le désespoir tue, la prière le fait disparaître, et après elle, l’homme confie et agit17. » La recherche de l’au-delà, du pouvoir qui dépasse l’entendement de l’homme est une source et ressource qui permet de repartir. Il croit ainsi en la providence divine .

Il faut donc prier Dieu et croire d’avoir obtenu la grâce, même quand l’apparence nous dit que nous ne l’avons pas obtenue. Pour ce qui regarde la posture du corps dans laquelle il faut être, quand on adresse des vœux au créateur, un vers de Pétrarque nous l’indique: « Con le ginocchia della mente incline [Il faut incliner l’âme avec les genoux.]18. »

Et il s’étend dans la suite sur le libre arbitre et les limites de cette liberté qui n’implique pas que l’homme puisse tout faire: « La raison est une parcelle de la divinité du Créateur. Si nous nous en servons pour être humbles et justes, nous ne pouvons que plaire à celui qui nous en a fait le don19. »

Un fil rouge dans la vie et l’œuvre

En fait, Casanova avait suivi une formation juridique et théologique dans sa jeunesse, grâce à son tuteur, l’abbé Grimani. Cet apprentissage comprenait quatre années d’études de droit à Padoue (1738–1741), avec un stage dans l’étude de l’avocat appelé Manzoni, puis des examens réguliers dès 1739. Pendant la même période, il a reçu la tonsure en 1740, les 4 ordres mineurs et a réussi son doctorat en 174120. A l’âge de 15 ans, il était abbé, ayant fréquenté la classe dogmatique d’abord, puis la classe de grammaire, puis la classe supérieure. Il avait cessé d’étudier, mais avait prononcé deux sermons en 1741 : le premier avec succès, puis le deuxième en état d’ébriété dans la petite église San Samuele, ce qui avait mis fin une fois pour toutes à sa carrière ecclésiastique.

Des crises de conscience l’ont traversé successivement, il faut rappeler une sérieuse qui l’avait marquée sous les Plombs : il s’est confessé à un père jésuite qui lui dit une prophétie ou plutôt des paroles qu’il avait prises pour une prophétie. Son confesseur lui avait posé la question : « priez-vous Dieu ? », à laquelle il a répondu tout ébranlé par le désespoir :

« Je le prie depuis le matin jusqu’au soir, et depuis le soir jusqu’au matin, même lorsque je mange, et que je dors, puisque dans la situation où je suis tout ce qui se passe en moi jusqu’à mes agitations, à mes impatiences, aux égarements de mon esprit ne peut être que prière devant la divine sagesse, qui seule voit mon cœur21. »

Le père confesseur approuve ses empressements et le fortifie dans cette conviction en prononçant des paroles mystérieuses: « […] priez Dieu comme nous vous l’avons appris, et sachez que vous ne sortirez jamais d’ici que le jour dédié au saint votre patron. » Il interprète son évasion ainsi de façon très ingénieuse pour donner raison à la prophétie présumée : « Je suis sorti de là le jour de la Toussaint, comme le lecteur verra et il est certain que, si j’en avais un [saint], mon protecteur devait être chômé dans ce jour-là, puisqu’ils y sont tous22. »

Sans énumérer toutes les aventures mystiques de Casanova, passons aux œuvres théologiques qui se multiplient à la fin de sa vie, dans la solitude de Dux23. On y trouve des dialogues philosophiques, un soliloque (1786), des méditations et pour finir, des commentaires sur la Genèse. Ses dialogues philosophiques sont conçus dans le même esprit polémique que celui des philosophes du XVIIIe siècle comme Voltaire, Diderot, Sade, etc. Ils traitent les questions de dogmatique sous forme dialoguée, donc dialectique et adapté à la controverse, tandis que les commentaires (sur la Bible, avant tout sur la Genèse) appartiennent à la tradition de l’exégèse biblique. Tous ces écrits montrent bien que les grandes questions de la religion ont tout le temps préoccupé Casanova et que son intérêt envers la métaphysique complète curieusement son profil d’aventurier et d’écrivain.


  1. Abr.: HV. Parmi les éditions intégrales des mémoires de Casanova, je cite celle de la série Bouquins, présentée et établie par Francis Lacassin, Paris, R. Laffont, 1993.↩︎

  2. HV, II/293. Je cite les sous-titres du chapitre en question.↩︎

  3. Ibid. : 290.↩︎

  4. Ibid. : 291.↩︎

  5. Ibid. : 292.↩︎

  6. Idem.↩︎

  7. Ibid. : 293.↩︎

  8. Idem.↩︎

  9. Ibid. : 294.↩︎

  10. Idem.↩︎

  11. Ibid. : 295.↩︎

  12. Idem.↩︎

  13. Cela veut dire : des lettres de recommandation dont il se pourvoyait d’habitude.↩︎

  14. Ibid. : 493. Le marquis de Sade faisait descendre sa généalogie de cette même Laure, mais c’est plutôt une légende. La Maison abrite toujours un « Musée-bibliothèque François-Pétrarque ».↩︎

  15. Il existe trois versions du texte introductif, en fait des projets qui sont intégralement publiés en annexe (pp. 1110–1125) dans la nouvelle Pléiade en 3 tomes: édition critique établie sous la direction de Gérard Lahouati et Marie-Françoise Luna, avec la collaboration de Furio Luccichenti et Helmut Watzlawick, Paris: Gallimard, 2013–2015.↩︎

  16. Ibid. : I/1.↩︎

  17. Idem.↩︎

  18. Ibid. : 2. Les vers de Pétrarque proviennent de son recueil Il Canzoniere, VIII, 63. et s’inspirent de la prière du roi Manassé dans l’Ancien Testament.↩︎

  19. Idem.↩︎

  20. Son doctorat portait sur deux sujets: la première thèse traite les testaments, la deuxième la question des synagogues: . les Juifs peuvent-ils construire de nouvelles synagogues?↩︎

  21. Ibid. : 895.↩︎

  22. Ibid. : 896.↩︎

  23. La plupart de ces écrits sont restés inédits de son vivant, puis ont été conservés aux Archives de Prague et publiés en 1960–1962 pour la première fois, republiés dans le premier tome de la série de Bouquins (pp. 1256–1334 et sqq.) comme Le philosophe et le théologien, Dialogues avec le Prince, Paradis, mot persan. Rêve. Dieu. Moi (en plusieurs minutes), Sur la nature de Dieu, Commentaires sur la Genèse.↩︎