Verbum – Analecta Neolatina XXII, 2021/2

ISSN 1588-4309; ©2021 PPKE BTK



En serbe, la mort ça se dit smrt.
Je parle sept langues, mais ce sont les Slaves
qui ont su trouver le meilleur nom, le son le plus
vrai pour la chose…2
Romain Gary, Clair de femme


1 Naissance d’un écrivain de guerre

Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew, est né le 21 mai 1914 à Vilnius (Wilno en polonais) dans l’Empire russe. Il est mort le 2 décembre 1980 à Paris. Il a donné plusieurs versions différentes de son nom et de son origine. Sa famille est de nationalité russe et lui-même devient polonais lorsque Wilno et sa région sont intégrées à la Pologne après la Première Guerre mondiale. Il arrive en France en 1928, à l’âge de quatorze ans, après la séparation de ses parents : sa mère s’installe avec lui à Nice. Il est naturalisé français en 1935. Après l’obtention du baccalauréat, il quitte Nice et poursuit à Aix en Provence puis à Paris des études de droit couronnées par l’obtention d’une d’une licence. Il est incorporé dans l » armée de l’air comme instructeur en 1938.

Dès le début de la Deuxième Guerre mondiale, il entre en résistance. Grand admirateur du général de Gaulle, il rejoint rejoint la France Libre en Angleterre après un périple qui le mène de Bordeaux à Alger puis de Casablanca à Glasgow et enfin Londres où il s’engage dès juillet 1940 dans les Forces Aériennes Françaises Libres (FAFL). Il sert au Libye, en Afrique et au Moyen-Orient, notamment en Palestine et en Syrie où il contracte le typhus et passe six mois dans un hôpital. Dans un entretien accordé à Richard Liscia, intitulé Le judaïsme n’est pas question de sang, à la question « Est-ce que vous vous sentez toujours gaulliste ? », Gary répond :

C’était également mon chef depuis juin 1940, le premier résistant. C’est un homme qui a accompli des réformes indispensables et que la gauche n’est pas en mesure de faire quand elle a été associée au pouvoir. […] Alors, je suis gaulliste historiquement, mais je ne suis absolument pas UDR3.

Il est bien connu que le destin personnel de Romain Gary s’est noué pendant la Seconde Guerre mondiale. Il accomplit son geste décisif au cours de l’été 1940 : il déserte et passe à Londres, où il est un des premiers à rejoindre la France Libre du général de Gaulle. Lors de cette période, il porte l’uniforme pendant sept ans4: entre 1938 à 1945. La guerre et l’Occupation marquent ainsi sa vie et sa personnalité. C’est là qu’il est devenu véritablement écrivain5. Dans son roman autobiographique La Promesse de l’aube (1960), l’écrivain raconte que sa mère attendait de lui qu’il fasse la guerre et que « ce n’était pas de la littérature »6.

Après la guerre, Gary entame une carrière de diplomate au service de la France. Il accomplit des missions à Sofia, New York, Los Angeles, et il commence parallèlement une sérieuse carrière d’écrivain. Dans La Promesse de l’aube, il raconte que son premier roman intitulé Le Vin des morts a été refusé par les éditeurs en 1937. C’est pourquoi il en emprunte ensuite des passages, qu’il place dans son premier roman publié : Éducation européenne. Celui-ci paraît en 1944, d’abord en traduction anglaise sous le titre Forest of Anger, puis en français au cours de l’année 1945. Ce roman que l’auteur « avait dédié à son camarade Robert Calcanap, qui s’était engagé dans les Forces françaises à l’âge de dix-huit ans »7, représente à la fois « le premier roman français publié au lendemain de la guerre »8 et, pour le jeune écrivain, une seconde naissance :

Un matin […] je trouverai le télégramme d’un éditeur anglais m’annonçant son intention de faire traduire mon roman et de le publier dans les plus brefs délais. J’ôtai mon casque et mes gants et restai longtemps là, dans ma tenue de bal, regardant le télégramme. J’étais né9.

2 Éducation européenne et Les Cerfs-volants : deux romans d’une même histoire ?

Cette guerre, qui a fait de Gary un écrivain, est également à l’origine de la rage qui l’habite toute sa vie : cette volonté de se battre pour les valeurs de liberté et de résistance. Ses indignations, « Gary les portera dans son cœur jusqu’au jour de sa mort. »10 C’est pourquoi nous étudions, dans notre article, le regard qu’il porte sur la Deuxième Guerre mondiale dans deux de ses romans les plus célèbres, à savoir, le premier et l’ultime roman publiés de son vivant11 : Éducation européenne et Les Cerfs-volants. Le premier roman de notre corpus, dont les personnages sont de jeunes résistants polonais terrés dans la forêt, raconte la confrontation d’une génération aux terreurs de la guerre. Il décrit leur résistance et leur vision du monde et de l’Europe. L’action des Cerfs-volants, quant à elle, se situe en France, en Normandie. L’auteur y raconte la vie quotidienne des Français sous la botte allemande. À travers un éventail de personnages, il dépeint leur résistance, et l’amour du jeune Ludo envers une Polonaise nommée Lila. De même que dans le roman précédent, il développe les thèmes de l’amour pour la patrie, de la résistance, de la pitié pour le peuple juif, et de la jeunesse confrontée aux horreurs de la guerre : ce sont les sujets majeurs qui le hantent.

C’est donc la thématique, en premier lieu, qui rapproche ces deux œuvres. Les deux récits débutent avec la Deuxième Guerre mondiale et suivent son déroulement : la confrontation avec la mort, la perte des camarades et les souvenirs d’une période douloureuse. La notion même de guerre occupe une place cruciale, particulièrement dans Éducation européenne qui décrit « une guerre juste, nécessaire, mais aussi corruptrice »12. La guerre révèle ce qu’il y a de meilleur et de pire chez tous les personnages. À l’analyse de ces deux romans, plusieurs traits communs apparaissent. D’abord, tous deux portent un titre ironique, pragmatique et symbolique. Éducation européenne, parce que ce récit du combat des partisans polonais contre les occupants est placé sous les couleurs d’une Europe qu’il faut construire et qu’il invalide, en quelque sorte, l’opposition des nations ennemies dans un projet d’union qui les dépasse13 ; et Les Cerfs-volants parce qu’il « reprend d’ailleurs de manière plus implicite le thème de la poursuite du bleu, symbole la Résistance »14. Les deux titres sont symboliques : Éducation européenne suggère que l’Europe est une construction intellectuelle et imaginaire, et non une donnée géographique, ce qui est un phénomène fondamental de la modernité ; tandis que Les Cerfs-volants symbolise la résistance pacifique. Ces deux romans sont également à considérer comme des romans d’éducation des orphelins15 : Éducation européenne parce qu’il conduit l’enfant Janek, personnage central, du début à la fin ; et Les Cerfs-volants parce qu’il met en place l’apprentissage du jeune Ludo.

En analysant le contenu lexical des deux textes, riches et complexes, on observe que Les Cerfs-volants est plus volumineux et que ses phrases sont plus longues que celles du premier roman. L’élément commun dans l’usage du lexique des deux œuvres, c’est la fréquence relative des noms propres. En effet, selon notre analyse, les mots les plus fréquents sont des noms propres : Janek et Lila16. Cela n’est pas étonnant, puisque Janek est la figure centrale d’Éducation européenne, autour de laquelle gravitent les autres personnages, mais aussi parce que c’est lui que l’auteur laisse exprimer son propre point de vue concernant la guerre et le rapport entre les hommes. C’est lui qui révèle les pensées de l’auteur lui-même.

Une autre caractéristique importante à noter : la présence des femmes dans la guerre, et plus largement dans un monde masculin. Les deux textes proposent des représentations féminines presque identiques : elles sont courageuses, parfois marginalisées et punies.

Ces romans présentent un large éventail de personnages, chacun exprimant sa propre voix et ses sentiments. Dans les deux textes, les narrateurs manifestent leur présence : ils s’adressent au lecteur ou à la lectrice en conduisant et en concluant le récit. Ces romans suivent un choix d’écriture polyphonique particulier17 , sans souci du respect de la ligne temporelle. Une telle composition peut laisser le lecteur perplexe et donner l’impression d’une errance, d’un puzzle de voix. Cet effet a un double but : de témoigner et, à la fois, de poursuivre la guerre personnelle de l’auteur contre l’oubli. Dans Éducation européenne, c’est Dobranski qui exprime sa tentation d’écrire un roman de témoignage inachevé, qui jouera le rôle de refuge après les combats « quand tout sera fini »18. Dans l’autre roman, l’histoire semble – à première vue – achevée. Ludo, le narrateur omniprésent des Cerfs-volants, raconte l’histoire : lui aussi, il tente de recréer le passé ; de le refaire « pour mémoire »19. Les dernières phrases, ainsi que la répétition des noms anonymes dans Les Cerfs-volants, confirment cette intuition : « Je termine ce récit en écrivant encore une fois des noms du pasteur André Trocmé et celui du Chambon-sur-Lignon, car on ne saurait mieux dire. »20 Le gérondif employé dans ces phrases érige le roman « en stèle commémorative achevant ainsi le trajet accompli le pacte scellé dans la dédicace »21.

Ces caractéristiques communes aux deux romans permettent d’approfondir l’analyse du regard porté par Romain Gary sur la Deuxième Guerre mondiale. Nous posons une hypothèse : son œuvre est tellement marquée par la guerre qu’il la représente dans plusieurs niveaux et sous plusieurs aspects ; il faut donc trouver un moyen d’examiner si cette représentation est une représentation stéréotypée du bien et du mal, ou s’il s’agit d’une observation plus philosophique sur la guerre. C’est pourquoi nous montrons d’abord la représentation, la présence et le rôle d’une résistance assez particulière ; puis la vision de la guerre et du monde chez les personnages garyens ; et enfin l’image des ennemis, aussi bien dans le premier roman qui « annonce les couleurs d’un écrivain sans bavures »22 et qui « révèle un grand conteur, au style rude et poétique »23 que dans l’ultime roman, écrit sur la recommandation de l’éditeur suite à la mort de De Gaulle, marquant la fin d’une époque essentielle pour l’auteur.

3 Plusieurs types de la Résistance garyenne

Écrire les désastres de la guerre, c’est aussi exprimer une résistance par rapport à son arbitraire en dénonçant ouvertement ses atrocités. C’est à cela que se consacrent les écritures de l’horreur, relayant souvent des témoignages très émouvants. C’est une des principales explications de la théorie selon laquelle l’écrivain dans le conflit est souvent un écrivain de résistance24. Comme le décrit Anissimov25, Romain Gary n’a pas accepté que la France abandonne le combat et collabore avec l’Allemagne nazie. Cette idée d’une résistance permanente lui a fait écrire, à propos des collaborateurs : « Je suis sans rancune envers les hommes de la défaite et de l’armistice de 40. »26

Dans ce contexte, Éducation européenne décrit la résistance menée par les partisans polonais pendant l’hiver 1942–1943, vivant dans des abris creusés dans la terre. Isolés, ces hommes rassemblés en armée et issus de milieux et de classes différents, sortent rarement de leurs cachettes, parfois seulement pour mitrailler un convoi de camions ennemis. « Affamés et affaiblis »27, ils luttent contre les conditions météorologiques et pour leur survie, mais aussi « contre la solitude et le silence, contre la certitude qui se glissait peu à peu »28. La bataille de Stalingrad est leur seul remède pour maintenir leur moral : une bataille à laquelle ils ne participent pas, mais grâce à laquelle ils projettent et organisent leur propre résistance. Les nouvelles de cette bataille entretiennent leur espoir de la victoire de l’Armée rouge et de la fin de la guerre.

Il faut ajouter la figure de Nadejda, très présente dans les têtes des partisans : ce chef imaginaire dirige la révolte polonaise depuis l’extérieur, et joue un rôle clé dans le déroulement de la résistance. L’introduction de ce personnage29 dans Éducation européenne nous montre encore une fois l’attachement de Gary au général de Gaulle, décrivant une résistance typiquement française (qui débute à l’extérieur du pays). Les Polonais écoutent Nadejda à la radio : ce personnage est une allégorie directement inspirée de l’interprétation de l’histoire par De Gaulle dans ses discours et ses écrits.

C’était une époque particulièrement terrible, presque tous nos chefs étaient tombés au combat ou avaient été arrêtés par les Allemands. Pour nous redonner du courage et pour désorienter l’ennemi, nous avons inventé le Partisan Nadejda – un chef immortel, invincible, qu’aucune main ennemie ne pouvait saisir et que rien ne pouvait arrêter. C’était un mythe que nous inventions ainsi, comme on chante dans la nuit pour se donner du courage, mais le jour vint rapidement où il acquit soudain une existence réelle et physique et où il devint réellement présent parmi nous30.

Parmi les sept membres de ce groupe de partisans, trois noms se distinguent. D’abord, celui de Janek, jeune homme au courage infantile et naïf, qui ne croit en aucune doctrine politique et qui se bat pour lui-même, ainsi que pour ses camarades. À travers ce personnage, Gary exprime un pessimisme et un défaitisme profonds et définitifs, en décrivant un homme dans des conditions misérables, comparable à la fourmi. Les deux autres personnages s’opposent à cette vision du monde : un étudiant, qui rejoint la résistance dès 1940 en publiant le journal clandestin Liberté, et Dobranski, un jeune écrivain transposant par l’écriture son traumatisme et son expérience de la résistance. Ces personnages sont unis par la même vision du combat et de la résistance permanente, définie ainsi : « Un homme meurt-il lorsqu’il ne lui reste plus rien d’autre à faire. »31

Le deuxième roman s’ouvre également d’une façon pessimiste, en dérivant l’époque où il est écrit comme une période « où les Français cherchent plutôt à oublier qu’à se souvenir »32. En citant les pertes personnelles du facteur Fleury dans la Grande Guerre et sa participation à la guerre civile espagnole, le narrateur exprime l’idée d’une répétition des événements historiques, et la seule solution pour survivre : agir et résister. Cette injonction, pour Ambroise Fleury qui construit des cerfs-volants, prend la forme d’une échappatoire de la réalité par l’art et la création : c’est pourquoi il construit ces objets, qui s’envolent et restent attachés seulement par le fil que l’on tient. Ce personnage est perçu par le narrateur comme stoïque : à sa façon poétique, plutôt que de se battre et de tuer dans les champs comme lors de la guerre précédente, il décide de résister plus subtilement. Il donne l’image d’une résistance pacifiste, continuant sa lutte contre l’ennemi. Il ne faut pas pour autant accuser cet homme de choisir une forme de résistance plus commode, car ses cerfs-volants sont interdits par les occupants, et le facteur Fleury continue tout de même de les hisser et de diffuser, à travers eux, un message de liberté, d’espoir et de résistance. Les cerfs-volants sont surnommés « gnamas » par leur constructeur, qui a trouvé ce mot en Afrique. Celui-ci désigne « tout ce qui a souffle de vie, hommes, moucherons, lions, idées ou éléphants »33. Ils sont une allégorie des aviateurs des Forces aériennes françaises libres34, le symbole de la résistance française, le symbole du courage. Ils jouent également un rôle didactique dans la formation du jeune Ludo : « J’appris ainsi qu’on avait chez nous la mémoire longue »35. Son oncle réussit, grâce à ses pièces, à transmettre plus facilement ses valeurs à Ludo, pour qui les cerfs-volants deviennent une passion. Pendant l’Occupation, il lance dans le ciel de France les visages de Rousseau, Hugo, Zola, Montaigne, Jaurès : par ces actes, il formule les mêmes injonctions que Dobranski, le personnage d’Éducation européenne. Tous deux convoquent la mémoire collective et appellent au respect de l’héritage de l’art et de la pensée, sur lequel se basent les valeurs de l’humanisme universel. « J’aime tous les peuples, dit Dobranski, mais je n’aime aucune nation. Je suis patriote, je ne suis pas nationaliste. »36, tandis que Ludo conclut : « Je ne haïssais plus les Allemands. »37 À travers ces personnages s’exprime une vision humaniste de la guerre et du mal, témoignant du refus de ces deux romans de se complaire dans la diabolisation systématique de l’Allemagne victorieuse et méchante, ni dans l’idéalisation de la Pologne humiliée ou de la France résistante. Derrière ces rivalités nationales et nationalistes, l’auteur met en évidence la façon dont l’humain et l’inhumain se manifestent dans chacun et se côtoient dans la conscience collective.

Dans Les Cerfs-volants, un autre type de courage et de résistance est incarné par le personnage de Marcelin Duprat, le propriétaire du restaurant normand Le Clos Joli de Cléry. Au début de l’Occupation, il est obligé de maintenir son restaurant ouvert pour servir les soldats allemands. Duprat perçoit là sa chance, une occasion de résister par la culture contre les occupants en leur proposant des spécialités françaises : « À l’entrée, il y avait une grande carte de la France avec les images des produits, la gloire de chaque province : pour la Normandie, il avait choisi la tripe. »38.

Le restaurant de Duprat devient un lieu mythique pendant l’Occupation, où se rencontrent les occupants et les représentants de la République française. Duprat tente d’y conserver l’esprit français grâce à la tradition, c’est-à-dire grâce au passé, comme Fleury que nous avons déjà évoqué. Le propriétaire du restaurant ne participe pas aux combats, il met plutôt les seuls moyens qu’il possède au service de la résistance : son restaurant et la cuisine française. Ses nombreux clients ne cachent pas leurs impressions : « Le ministre Anatole de Marrie lui avait dit un jour : – Mon cher Marcellin, on déguste vos plats, et c’est de l’érotisme ; on regarde vos prix, et c’est de la pornographie. »39 Son compagnon Ambroise Fleury livre quant à lui une vision prophétique et définitive du lieu : « Un jour on viendra étudier le livre d’or du Clos Joli pour écrire l’histoire de la Troisième République. »40 Pour sa cuisine, le propriétaire achète personnellement des produits locaux, frais et de haute qualité. Duprat est un personnage ambigu et narcissique, qui donne l’impression de collaborer avec les Allemands. C’est progressivement que l’on comprend que sa cuisine est une manière paradoxale de résister, et non une forme de collaboration. Ce personnage joue un rôle primordial dans la formation du jeune Ludo, car il le prend sous sa protection, lui offre un emploi afin de l’empêcher de tomber dans le désespoir. Pour Ludo, il devient un second tuteur, car son idéalisme, son amour pour la France et sa conception de la résistance sont proches de ceux d’Ambroise. Une seule fois, il proteste ouvertement en fermant les portes de son restaurant pendant une semaine, après avoir appris la déportation des enfants vers les camps de concentration et la rafle du Vel’d’Hiv. Il n’est certes pas artiste comme Dobranski, ni artisan comme Fleury, mais il est artiste en cuisine. Son acte de pacifisme, manifeste d’une politique de réconciliation, inspire le respect pour son restaurant, même parmi les Allemands. C’est aussi, pour Gary, une occasion d’ironiser sur cet acte de résistance car en pleine période de restriction alimentaire voire de disette Duprat choisit la gastronomie pour démontrer la supériorité de la culture française sur celle de l’occupant allemand qui n’est dominant que sur les champs de bataille. La résistance de Duprat n’est pas héroïque elle peut sembler pathétique et prétentieuse mais cela permet à Gary d’opposer le principe de la vie (l’art de la cuisine qui nourrit) à celui de la mort véhiculée par les soldats et la guerre et à ce titre cet acte de résistance n’est pas mineur.

Aux côtés de ceux-là, il ne faut pas oublier d’autres personnages qui mènent leur propre résistance, d’une autre façon, qui n’est pas moins importante. Le seul personnage féminin dans Éducation européenne est Zosia, une prostituée41 qui souffre de maladies contagieuses : « Elle couche avec les soldats, qui lui disent d’où ils viennent, où ils sont, par où vont passer leurs convois… Elle leur colle la maladie. »42 Comme la plupart des personnages de ces deux romans, Zosia est une adolescente dotée d’un caractère fort. Elle joue une fonction remarquable dans la narration : elle complète l’autre adolescent Janek, dont l’amour la pousse à ne plus intervenir auprès des Allemands. Ainsi, un partisan ne parvient plus à la convaincre de se renseigner une dernière fois auprès d’un convoi allemand, en partance probable pour Stalingrad. Zosia risque sa vie, elle risque constamment d’être battue et humiliée par les occupants. Elle décrit ainsi son travail, qui exige une énorme force mentale et physique :

C’est comme avoir faim, comme avoir froid. C’est comme marcher dans la pluie, et dans la boue, comme ne pas avoir où aller, quand on a faim et qu’on a froid… D’abord, je pleurais, et puis je me suis habituée43.

La résistance de Zosia est exempt de tout idéalisme, elle pense que les hommes ne se battent jamais pour des idées mais contre les autres et que les soldats sont indifférents. Elle véhicule une vision pessismiste du monde car elle estime que les vestiges des civilisations seront toujours des ruines.

Même si Gary affirme qu’il « redécouvre son appartenance juive »44 relativement tard, dans le roman La Danse avec Gengis Cohn de 1967, il n’oublie jamais de décrire le peuple juif, son destin et ses activités dans la Résistance45. Dans Éducation européenne, il introduit le personnage de Moniek Stern, musicien jouant l’instrument symbolique juif (le violon) ; dans Les Cerfs-volants, nous rencontrons Julie Espinoza46, Juive, locataire et hôtesse d’un hôtel fréquenté par des prostituées qui, au début de la guerre, se transforme en auberge pour les membres de la haute aristocratie et les officiers de la Luftwaffe. Au fil du temps, Espinoza change son identité : elle devient la comtesse Esterhazi et participe à la résistance. Sa motivation diffère de celle des autres personnages : elle veut très simplement préserver sa vie et sa position. Elle est animée « d’une volonté de survie indomptable »47. Ce personnage ne se bat ni par pour une collectivité ni pour la fraternité. Elle entre en résistance grâce à sa fille, scolarisée à l’étranger, qui parle l’allemand et qui est la maîtresse d’un officier allemand. Intelligente et prophète, elle se prépare à survivre dès l’accord de Munich, car elle perçoit déjà la menace pour le peuple juif : « J’ai compris depuis Munich. La petite a un diplôme qui sera bien utile quand les Allemands seront là. »48 Lors de l’Occupation, ce personnage préfère garder l’anonymat. Elle risque donc de ne pas être reconnue comme résistante après la guerre. Capable, courageuse et prête, Esterhazi échappe aux nazis, aux collaborateurs et à la déportation. Madame Julie est cynique et ce personnage permet à Gary d’exprimer son mépris pour les convertis tardifs qui ont valorisé le peu qu’ils ont parfois tardivement accompli pour la Résistance. C’est ainsi qu’elle avoue avoir caché un aviateur allié chez un collaborateur notoire car il doit s’acheter une conscience et et un passé.

La diversité des personnages, et des actes de résistances présentés dans ces deux romans, prouve que Gary ne réduit pas la Deuxième Guerre mondiale à une collection de souvenirs personnels, tout héroïques qu’ils soient. Les deux textes sont délibérément des fictions fantaisistes, loin du réalisme. Ils décrivent des expériences qui ne sont pas celles de Gary dans l’aviation : d’un côté la résistance dans les forêts polonaises, de l’autre la résistance en Normandie. Leur auteur ne place pas ses personnages résistants sur un piédestal. Son œuvre est plutôt animée par une passion de raconter et de démontrer que toutes les formes de résistance avaient le même but : atteindre la liberté.

4 Vision chaotique de la guerre et du monde

L’écriture de la guerre n’est pas un acte simple. La transposition dans l’espace littéraire de la violence, de l’horreur et du chaos n’est pas sans effet sur l’écriture même. C’est pourquoi nous étudierons un choix d’épisodes en nous limitant aux pensées du narrateur ou de ses personnages sur la Deuxième Guerre mondiale, sur la vie, et sur leur vision de l’avenir. En mettant en scène des adolescents, confrontés pour la première fois de leur vie à la guerre et à ses horreurs, mais également confrontés à d’autres personnages et à eux-mêmes, Gary décrit la guerre comme une source du mal. Ces personnages sont tellement jeunes qu’ils ne connaissent pas la mort, les mots de Janek nous le prouvent : « Il ne savait pas comment on meurt. »49

Les destructeurs du monde, comme le souligne Hannah Arendt, « ne détruisent rien d’autre que ce qui a été produit par la main de l’homme »50. Ainsi, Romain Gary compare le nouveau monde créé par les désastres de la guerre à un monde basé sur des instincts animaliers :

Le monde où souffrent et meurent les hommes est le même que celui où souffrent et meurent les fourmis : un monde cruel et incompréhensible, où la seule chose qui compte est de porter toujours plus loin une brindille absurde, un fétu de paille, toujours plus loin, à la sueur de son front et au prix de ses larmes de sang, toujours plus loin sans jamais s’arrêter pour souffler ou pour demander pourquoi… Les hommes et les papillons…51

Éducation européenne décrit les conditions de survie dans les forêts de Wilno. Ce lieu dans lequel aucune lumière ne pénètre, où tout est tellement épais, froid et humide, devient une allégorie mythique de la guerre. L’Occupation dans les villages alentour est décrite ainsi : « La vie devenait difficile. Personne ne payait plus ses dettes, toutes les affaires devenaient dangereuses, le vainqueur d’aujourd’hui pouvait être le vaincu de demain. »52

La guerre n’est pas seulement présentée comme une chose qui annihile les conditions de vie des individus, en tant qu’êtres vivants, mais aussi les relations entre eux et un système établi. Dans Les Cerfs-volants, les mots de Fleury expriment la même pensée à propos des deux côtés opposés : « Les armes modernes sont devenues trop puissantes et trop destructrices, dis-je. Personne n’osera les employer, car il n’y aurait ni vainqueurs ni vaincus, rien que des ruines… »53

Les Cerfs-volants décrit l’atmosphère et les conditions de vie en France pendant l’Occupation, où le même sentiment envers la guerre s’exprime : « Les jours que nous sommes en train de vivre nous font en ce moment perdre un peu la tête et il faut nous rappeler ce que nous sommes », déclare le jeune Ludo à propos de l’Occupation. Il est évident que la France occupée change ses habitudes, car ses habitants sont obligés de travailler, d’autres résistent ou sont mobilisés, voire sont déportés vers les camps de concentration :

Le pays commençait à changer. La présence de l’invisible ne cessait de grandir. Les gens que l’on croyait « raisonnables » et « sans esprit » risquaient leur vie en cachant des aviateurs anglais abattus et des agents de la France libre parachutés à Londres54.

Peu à peu, Ludo se retrouve sans argent et son sentiment d’incertitude grandit. La guerre dévaste la population, et montre en même temps combien les connaissances de l’homme sur le monde et sur les horreurs de la guerre sont limitées, et à quel point chaque personnage suit son propre destin : « Je savais fort peu de choses, à cette époque, des camps de la concentration. Le mot « déportation » n’avait pas encore pris dans mon esprit tout son poids d’horreurs. »55

Dans ce monde plein d’horreurs, Ludo cherche une source de vie dans l’amour. Il compare l’amour pour une femme avec l’amour pour la patrie :

[…] pour ne pas accepter le fait que la liberté avait de tout temps exigé des sacrifices, mais il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’aimer une femme pouvait être un apprentissage de la liberté56.

En sortant de la guerre, Janek apprend la nouvelle de la mort de son père. Ses amis tentent de lui donner courage en lui expliquant que rien ne doit nous rendre malheureux, quand on aime quelqu’un. Désespéré, plein de tristesse, entouré par ses amis et par Zosia, il annonce une nouvelle étape dans sa vie : il va devenir père à son tour. Tadek quant à lui finalise cette histoire douloureuse avec sa vision positive de l’Europe où se trouvent, selon lui, les meilleures universités et les musées : « Mais à la fin, tout ce que cette fameuse éducation européenne vous apprend, c’est comment trouver le courage et de bonnes raisons […]. »57

Gary oppose dans une dialectique la violence et l’amour : en alternative à la guerre, il oppose l’amour et le respect comme seul retour à la vie normale. Il émet l’espoir de voir condamner à Nuremberg les coupables de la mort des frères et du père de Janek et de tant de millions de gens.

Après ces années noires, le monde a changé. Les personnages sont marqués par la crainte de l’avenir, une angoisse profonde. Dans ce nouveau monde, qui a connu la cruauté, certaines valeurs morales perdurent : la position dominante masculine. Les prostituées ayant participé à l’Occupation sont laissées en marge de cette nouvelle société. Beaucoup d’horreurs de guerre sont plus condamnables que les « fautes » commises par les prostituées, mais la société ne leur pardonne pas « l’approche » des nazis et elles sont toutes condamnées, comme Lila, dans les années d’après-guerre.

L’objectif des narrateurs de ces deux romans n’est pas de raconter comment ces personnages ont survécu à la Deuxième Guerre mondiale, mais de montrer comment, en situation, les horreurs de la guerre ont marqué leur conscience.

5 L’œil sur l’occupant

Dans la dernière partie de l’article nous examinerons comment l’auteur présente et décrit les occupants, c’est-à-dire les Allemands ou les ennemis. Dans Les Cerfs-volants, Gary exprime l’angoisse des personnages les plus âgés, pour qui les Allemands représentent un danger identifié depuis longtemps. Cette pensée remonte à la guerre de 1870–1871 et à la Première Guerre mondiale, c’est-à-dire aux deux guerres provoquées par l’Allemagne qui ont marqué la vie de Fleury et du jeune Ludo. Du côté des stéréotypes traditionnels envers les Allemands, Gary ouvre de nouvelles voies pour la représentation des ennemis. Dans ses deux textes, les lecteurs sont placés face à l’attitude des Allemands. Dans Éducation européenne, c’est toujours Janek qui définit le comportement cruel des Allemands envers leurs ennemis, et qui cherche la raison philosophique du déclenchement de la guerre : « Pourquoi les Allemands nous font-ils ça ? – Par désespoir. »58 Dans ces deux romans, les ennemis occupent les pays, les villes, les villages, mais également la pensée des personnages. Les Allemands sont partout, ils sont très visibles, les personnages parlent d’eux fréquemment. La fréquence relative du mot « allemand » dans les deux textes est une marque de cette importance, pour l’écrivain et ses personnages, de nommer les ennemis. Dans Éducation européenne, la fréquence relative du mot « allemand » occupe la troisième place derrière « Janek » et « forêt » ; et la notion relative du mot « guerre » est parfois très liée aux « Allemands »,59 ce qui nous incite à affirmer que le lien entre la guerre et les Allemands est fait très explicitement. Dans ce monde où les ennemis sont présents, certains personnages expriment leur mépris, ils veulent que les Allemands disparaissent : « Un jour, il n’y aura plus d’Allemands. »60 Les jeunes pensent que leur malheur prendra fin dès que les ennemis quitteront leur territoire, ils ne parviennent pas à comprendre pourquoi cette nation accepte la guerre et les dévastations :

Je me demandais alors : comment le peuple allemand peut-il accepter cela ? Pourquoi ne se révolte-t-il pas ? Pourquoi se soumet-il à ce rôle de bourreau ? Sûrement des consciences allemandes, blessées, bafouées, dans ce qu’elles ont de plus élémentairement humain, se rebellent et refusent d’obéir ?61

Le personnages n’accusent pas tous les Allemands d’avoir provoqué la guerre : ils tentent de distinguer les dirigeants des simples soldats qui obéissent. Mais, dans les conditions de la guerre, un homme venant du pays ennemi reste toujours un opposant dans l’optique de l’armée, sous toutes les conditions, même s’il déserte et veut changer de camp. Un tel épisode se produit dans Éducation européenne, où l’auteur décrit les réactions provoquées par un jeune soldat allemand qui déserte au service de la Pologne : « Alors, nous l’avons fusillé. Parce qu’il avait cette étiquette sur le dos : Allemand. Parce que nous en avions une autre : Polonais. »62

Gary exprime cette absurdité de la guerre, à travers une réflexion saisissante sur l’acte de tuer et par le changement de sentiments des jeunes personnages envers les nations étrangères, en l’occurrence l’Allemagne. Ces jeunes soldats éprouvent la haine et le mépris de tout ce qui vient du pays de leur rival :

Je connais la haine. Les Allemands me l’ont enseignée. Je l’ai apprise en perdant mes parents, en ayant faim et froid et en vivant sous terre et en sachant, si un Allemand me rencontrait sur la route, il ne m’offrirait pas sa gamelle, il ne me ferait pas une place auprès de son feu, tout ce qu’il aurait pour moi, c’est une balle dans la peau. Car les Allemands ont une balle pour toute chose. Une balle pour la poitrine et une balle pour l’espoir, une balle pour la beauté et une balle pour l’amour… Je les hais !63

L’apparition des Allemands perturbe la vie tranquille de la jeune génération. Ludo explique que ce sont eux qui ont interdit de faire flotter les cerfs-volants dans le ciel, eux qui ont construit les camps de concentration, eux qui provoquent la peur chez les habitants. Mais, par ailleurs, il ne nous donne pas une image typique des envahisseurs : il ne personnifie pas les Allemands, il ne leur attribue pas de caractère, ni héroïque ni méchant. Pour Ludo, ils sont peu intelligents parce qu’ils ne se rendent pas compte de la signification symbolique pour la résistance des noms éponymes sur les cerfs-volants. Les Allemands les prohibent « par crainte de quelque signal en code à l’aviation alliée ou aux premiers bandits »64, et non parce qu’ils expriment une sorte de résistance intellectuelle. Ces soldats allemands sont également présentés comme prudents, voire « paranoïaques », parce qu’ils voient partout des « agents ennemis ». Dans ce monde angoissant, Ludo ne peut pas oublier le jour où il a assisté pour la première fois à l’assassinat d’un Allemand. Cette image lui reste en mémoire comme un avertissement.

Dans Les Cerfs-volants, d’autres personnages livrent un regard différent sur les occupants. Pour certains, la cruauté des Allemands est si grande qu’il faut lui ajouter d’autres maux et caractères inhumains afin que l’image soit complète, dans le but de provoquer des sentiments violents chez les Français, par réaction : « Écoute, mon petit Ludo, les nazis sont en train de faire du savon, avec les ossements des Juifs, alors les soucis de propreté, en ce moment… »65 Pour d’autres, ils ne sont pas si méchants : Zosia, par exemple, cherche toujours à excuser leur comportement : ils la battent seulement quand ils sont ivres ou quand ils sont trop malheureux. Cette héroïne nous présente les Allemands comme des gens très « pressés ». Elle ne les méprise pas, tandis que son ami Janek ne voit en eux que la source de son malheur. Ils provoquent en lui une rage et un désir de vengeance cruelle : « Je voudrais qu’ils meurent en sachant pourquoi. Je leur dirais pourquoi ils meurent, avant de les tuer. »66

Tout ces arguments nous amènent à identifier les occupants, dans ces deux romans, comme le foyer du mal, de la douleur et de la souffrance, tout en considérant que ce mal ne vient pas d’une entité ou d’une nation. Il existe en chacun d’entre nous ; il présente une force qui menace l’être humain et l’humanité à chaque instant. Todorov67 précise que Gary refuse toujours « de déclarer les Allemands inhumains et donc entièrement différents des hommes normaux ». Dans Les Cerfs-volants comme dans Éducation européenne, il dépeint des personnages qui tentent d’échapper à cette délimitation et banalisation simpliste du bien et du mal, et qui partagent avec leurs adversaires une même vision de l’horreur et de la dignité.

6 En guise de conclusion

Après avoir parcouru et analysé différents aspects du regard porté sur la Deuxième Guerre mondiale dans les romans de Romain Gary, nous pouvons conclure que cette guerre est un thème primordial dans son œuvre et dans sa pensée. Sa vision d’un des épisodes les plus marquants de notre Histoire n’est pas un regard superficiel, ni uniquement personnel. Gary qui « se réinvente sans cesse »68 retrace la guerre dans toutes ses horreurs. Son œuvre montre que « les expériences fondamentales de notre époque sont des expériences de guerre »69. Pour éviter une description stéréotypée, l’écrivain préfère proposer différents types de caractères, ainsi que leurs différentes conceptions de la résistance et du monde. Il échappe à une vision « déjà vue » des ennemis et des occupants, qui reviendrait à les représenter comme une figure collective du mal, en les montrant plutôt comme des individus et, ce qui est plus important, comme des soldats. Gary divise les êtres humains entre ceux qui savent raison garder ou se faire une raison et ceux qui sont prêts à tout pour garder leur raison de vivre. Les premiers sont des prudents qui craignent les idéaux, mais qui sont prompts au renoncement et à l’inaction et sont les tenant d’un juste milieu qui aboutit à une collaboration passive. Les seconds sont des êtres qui ne s’arrêtent pas à des arguments de raison pour s’engager ou résister Ses personnages qui résistent incarnent un espoir pour aller de l’avant. C’est pourquoi, au lieu d’énoncer une conclusion définitive, nous citerons les mots de Gary lui-même, qui précisent sa vision de la guerre et de la vie, et qui répondent à cette question : pourquoi ses romans de guerre sont-ils si célébrés ? Dans La Nuit sera calme (1974), il déclare :

J’ai horreur du genre ancien combattant à perpette. La vie, c’est fait pour recommencer. Je ne réunis pas, je ne commémore pas, je ne réclame pas. Mais c’est en moi et c’est moi […]. Je n’ai jamais voulu en faire des livres. C’est leur sang, leur sacrifice et ils ne sont pas tombés pour de gros tirages70.

Annexe

Figure no1

Figure no2: Éducation européenne, fréquence relative des mots « allemand », « guerre »

Figure no3: Les Cerfs-volants, fréquence relative des mots « allemand », « guerre »


  1. L’auteur de cet article emprunte le titre d’une biographie romancée : L. Seksik : Gary s’en va t-en guerre, Paris: Flammarion, 2017.↩︎

  2. Nous introduisons ces mots dans cet article en rendant hommage et en exprimant notre admiration pour ce grand écrivain, qui mentionne la politique et la culture yougoslaves et serbes dans plusieurs de ses ouvrages. Il est le premier qui a découvert ce milieu : « En Yougoslavie, il rend les Allemands fous furieux. Il est vrai qu’avec toutes ces montagnes, là-bas, c’est plus facile qu’ici, en pays plat. » (Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 229). Il mentionne la politique yougoslave dans sa nouvelle « Les Trésors de la mer Rouge » (1971) et introduit un personnage yougoslave, Zvonar, dans la nouvelle « Une Page d’Histoire » (1962). Il reste un inconnu pour le milieu culturel yougoslave, jusqu’à l’apparition de la traduction croate de Vladimir Brodnjak du roman Le Grand Vestiaire – en serbo-croate : Odjeća bez ljudi (Zora, Zagreb, 1956).↩︎

  3. L’Arche, 26 avril – 25 mai 1970, Cité par : Cahiers de L’Herne : Romain Gary, dirigé par Paul Audi et Jean-François Hangouët, Édition de l’Herne, Paris, 2005 : 199.↩︎

  4. L’écrivain était très attaché à cet uniforme. Voir plus sur ce sujet : L. Blanch : Romain Gary un regard particulier, Arles, Actes Sud, 1998 : 38.↩︎

  5. Julien Roumette, « La guerre en miroir : Romain Gary et James Jones », Europe, n° 1022–1023, 2014 : 63.↩︎

  6. R. Gary : La Promesse de l’aube, Paris : Gallimard « Folio », 1980 [1960] : 375.↩︎

  7. M. Anissimov : Romain Gary, le caméléon, Paris : Denoël, 2004 : 189.↩︎

  8. Virginie Deluchat, Désenchantement et réenchantement dans les œuvres romanesques d’Emmanuel Bove et de Romain Gary, thèse de doctorat, 2012 : 13.↩︎

  9. R. Gary : La Promesse de l’aube, op.cit. : 374.↩︎

  10. Myriam Anissimov, Romain Gary, le caméléon, op.cit. : 196↩︎

  11. Les œuvres publiées posthumes : Vie et mort d’Émile Ajar (1980), L’Homme à la colombe (1984), L’Orage (2005), Tulipe ou la Protestation (2007), Le sens de ma vie. Entretiens (2014). Presque tous les ouvrages de Gary ont pour thème la Deuxième Guerre mondiale. Elle est le sujet central de Tulipe (1946), Le Grand Vestiaire (1948), La Promesse de l’aube (1960), tandis que la guerre au Viet Nam est présente dans Adieu Gary Cooper (1965).↩︎

  12. Alice Gaudiard, « Romain Gary : Didascalies d’une œuvre et d’une vie », Liberté 38 (5), octobre 1996 : 76.↩︎

  13. « Il lui donne évidemment un sens ironique. Éducation européenne, ce sont les bombes, les massacres les otages fusillés, les hommes obligés de vivre dans des trous comme des bêtes » (Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 65).↩︎

  14. Kerwin Spire, « Romain Gary des Compagnons de la Libération aux Justes parmi les nations », Europe, n°1022–1023, juin–juillet 2014 : 80.↩︎

  15. Comme le confirme Maxime Decout, les œuvres de Gary sont parcours d’orphelins. Voir plus sur ce sujet : M. Decout : Album Romain Gary, Paris : Gallimard, 2019 : 21.↩︎

  16. Nous avons fait cette analyse à l’aide du programme Voyant Tools. Voir l’annexe à la fin de l’article : figure no1.↩︎

  17. Pour les écrivains, témoigner des horreurs de la guerre signifie aussi : parler au nom de ceux qui les ont vécues dans leur chair. L’écrivain témoin n’est pas journaliste ni historien. Son travail se produit « à partir de l’interaction entre l’espace référentiel et le plan de la représentation » (Maria Angela Germanotta, L’Écriture de l’inaudible. Les Narrations littéraires du génocide au Rwanda, Bologne : Interfrancophonies, Mélanges, 2010 : 9).↩︎

  18. R. Gary : Éducation européenne, Paris : Livre de poche, 1956 : 65.↩︎

  19. R. Gary : Les Cerfs-volants, Paris : Gallimard, 1980 : 370.↩︎

  20. Ibid. : 370.↩︎

  21. Jonathan Barkate, « Les Cerfs-volants ou la mémoire historique de Romain Gary », Revue d’histoire littéraire de la France 2016/2 (Vol. 116), pp. 409–424. DOI 10.3917/rhlf.162.0409, : 415.↩︎

  22. D. Bona: Romain Gary, Paris: « Folio », 2014: 106.↩︎

  23. Ibid. : 106.↩︎

  24. Voir plus sur ce sujet : Lavane François Xavier et Odaert Olivier, « Les Écrivains et le discours de la guerre », Interférences littéraire, n°3, novembre 2009 : 13.↩︎

  25. Myriam Anissimov, Romain Gary, le caméléon, op.cit. : 142.↩︎

  26. Romain Gary, La Promesse de l’aube, op.cit. : 283.↩︎

  27. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 25.↩︎

  28. Ibid. : 19.↩︎

  29. Dans les deux premières versions et éditions de ce roman, le personnage de Nadejda ne figure pas. L’auteur l’introduit dans l’édition de 1956. En 1958, il publie également un article sur De Gaulle, repris dans Romain Gary, Ode à l’homme qui fut la France, Paris, Calmann-Lévy, 1997, pp. 42–92.↩︎

  30. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 229.↩︎

  31. Ibid. : 20.↩︎

  32. Romain Gary, Les Cerfs-volants, op.cit. : 9.↩︎

  33. Ibid. : 11.↩︎

  34. Romain Gary donnera en 1946 le surnom de Sergent Gnama aux Forces aériennes françaises, dans une nouvelle. Consulter l’ouvrage : Romain Gary, « Sergent Gnama », Bulletin de l’Association des Français libres, n°2, janvier 1946, pp. 11–13.↩︎

  35. Romain Gary, Les Cerfs-volants, op.cit. : 18.↩︎

  36. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. :  214.↩︎

  37. Romain Gary, Les Cerfs-volants, op.cit. :  270.↩︎

  38. Ibid. : 161.↩︎

  39. Idem.↩︎

  40. Ibid. : 157.↩︎

  41. Les prostituées sont presque omniprésentes dans l’œuvre de Gary. Nous les trouvons dans Gros câlin, La promesse de l’aube, Lady L., La Vie devant soi.↩︎

  42. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 45.↩︎

  43. Ibid. : 69.↩︎

  44. J.-M. Catonné : Romain Gary / Émile Ajar, Paris : Belfond (Dossiers), 1990 : 80.↩︎

  45. Nous trouvons plusieurs personnages juifs dans son œuvre : dans Tulipe, Samuel Natanson ; dans Les Racines du ciel, Abe Fields ; Mme Rosa dans La Vie devant soi, le Dr Lejbowitch dans Le Grand Vestiaire ; et dans la nouvelle Gloire aux illustres pionniers, Schoenbann…↩︎

  46. Chez Gary, ce ne sont pas seulement les actes qui définissent un individu, mais aussi les noms propres à travers lesquels un être s’inscrit dans l’Histoire. Ce personnage porte le nom du penseur et philosophe, tandis que son nouveau nom Esterhazi est aussi le nom d’un véritable coupable dans l’affaire Dreyfus.↩︎

  47. Joseph Sungolowsky, « La Judéité dans l’œuvre de Romain Gary. De l’ambiguïté à la transparence symbolique », Études littéraires 26 (1) 1993 : 116. DOI : https://doi.org/10.7202/501035ar↩︎

  48. Romain Gary, Les Cerfs-volants, op.cit. : 165.↩︎

  49. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 19.↩︎

  50. H. Arendt: Qu’est-ce que la politique, Seuil, 1994: 75.↩︎

  51. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 245.↩︎

  52. Ibid. : 40.↩︎

  53. Romain Gary, Les Cerfs-volants, op.cit. : 147.↩︎

  54. Ibid. : 204.↩︎

  55. Ibid. : 319.↩︎

  56. Ibid. : 119.↩︎

  57. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 237.↩︎

  58. Ibid. : 64.↩︎

  59. Voir l’annexe à la fin de l’article. Figures no2 et 3.↩︎

  60. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 71.↩︎

  61. Ibid. : 66.↩︎

  62. Ibid. : 67.↩︎

  63. Ibid. : 102.↩︎

  64. Romain Gary, Les Cerfs-volants, op.cit. : 184.↩︎

  65. Ibid. : 334.↩︎

  66. Romain Gary, Éducation européenne, op.cit. : 69.↩︎

  67. Mémoire du mal. Tentation du bien. Enquête sur le siècle, Paris : Robert Laffont, 2000 : 234.↩︎

  68. « Gary se réinvente sans cesse ». Entretien avec Maxime Decout, Propos recueillis par Velimir Mladenović, Quinzaines, n°1219 (1er sept. 2019), p. 22.↩︎

  69. H. Arendt : Qu’est-ce que la politique, op.cit. : 106.↩︎

  70. R. Gary : La Nuit sera calme, Paris : Gallimard « Folio », 1974 : 203.↩︎