Verbum – Analecta Neolatina XXVI, 2025/2

ISSN 1588-4309; https://doi.org/10.59533/Verb.2025.26.2.8



Le recueil d’études Les sorties du texte rassemble les interventions présentées lors d’un symposium international organisé en 2015 à l’Université catholique Pázmány Péter, à l’occasion du centenaire de la naissance de Roland Barthes. Il constitue, en Hongrie, le premier ouvrage qui embrasse l’ensemble de l’œuvre barthienne tout en réunissant les contributions de plusieurs chercheuses et chercheurs. Le titre fait écho à une communication majeure du théoricien. Dans l’introduction, les directrices du volume, Anikó Ádám et Anikó Radvánszky, soulignent l’importance de revenir sur une figure incontournable des sciences littéraires : Barthes repense et redéfinit les concepts fondamentaux de la critique à travers les époques ‒ signe, espace, temps, structure, langue, auteur ‒, c’est-à-dire les notions qui touchent « à l’ensemble de notre entendement concernant la littérature ». Le recueil aborde également la situation actuelle de l’histoire de la réception barthienne.

La simple lecture des titres atteste de l’ampleur du domaine exploré. Une seule thématique paraît traverser plusieurs contributions : celle des motifs du désir, du corps, de l’érotique et du plaisir, révélant quelques points nodaux de l’œuvre barthienne. L’ensemble des textes se déploie néanmoins comme un dialogue, malgré la présence de quelques « intrus » plus éloignés de la ligne directrice (par exemple, les articles de Fruzsina Hende et d’Ibolya Maczák, qui présentent toutefois des affinités méthodologiques). L’organisation du volume repose à la fois sur les objets abordés et sur les textes de Barthes étudiés, bien que d’autres principes de structuration auraient pu s’imposer, tant certaines problématiques reviennent de manière transversale.

Les deux premiers articles portent sur la présence de Barthes en Hongrie. Gergely Angyalosi, auteur lui-même d’un ouvrage sur Barthes, dissipe une « petite obscurité philologique » concernant son séjour hongrois : Barthes ayant mal daté cet épisode, la majorité des biographies reproduisent une information erronée. Angyalosi analyse ensuite certaines idées fondamentales de Barthes relatives à la littérature, à partir des traductions publiées en 1971 dans Œuvres choisies (Válogatott írások), notamment la théorie de la littérature interrogative, selon laquelle l’écrivain a pour fonction de susciter l’ambiguïté.

György László Velkey s’intéresse à la réception hongroise du Barthes structuraliste. Il analyse les positions formulées dans les années 1970 qui présentent le structuralisme comme une « mode intellectuelle » plus que comme une méthode théorique, et montre que cette représentation découle en grande partie du manque de traductions et de la diffusion restreinte des textes barthiens. Il confronte cette réception initiale à la lecture actuelle de Barthes, révélant la faiblesse des fondements théoriques de la réflexion littéraire hongroise à l’époque.

L’étude d’Elvira Pataki porte sur En marge de Criton, œuvre de jeunesse illustrant déjà les grands concepts barthiens ‒ polyphonie textuelle, complexité de la relation entre auteur et lecteur ‒ développés plus tard notamment dans La mort de l’auteur. Pataki met d’abord en évidence les liens de Barthes avec la culture gréco-romaine, largement ignorés du public hongrois, puis analyse l’œuvre comme pastiche à partir de sa classification générique.

Éva Antal adopte une perspective interdisciplinaire en s’intéressant à « la langue de la Mode », à partir de l’analyse barthienne des vêtements dans la presse féminine. Elle présente d’abord la manière dont Barthes conçoit le vêtement comme unité signifiante dans un système terminologique, puis examine leur fonctionnement au niveau rhétorique, avant d’aborder la question de la sexualité et du « corps de la Mode », enrichie par les gender studies.

Fruzsina Hende mobilise Introduction à l’analyse structurale des récits pour étudier les procédés narratifs du roman Buda de Géza Ottlik. Elle esquisse les grandes lignes de l’article de Barthes avant d’en appliquer les outils à l’œuvre romanesque, mettant en lumière les mécanismes de cohésion narrative à distance.

Ibolya Maczák propose une lecture comparative de Sade, Fourier, Loyola et d’écrits religieux du Baroque tardif, notamment chez Péter Pázmány et Lipót Stankovátsi. Elle montre que les constats barthiens sur la structure textuelle trouvent confirmation dans les sermons compilés, où des discours repris et réagencés acquièrent une autonomie créatrice.

L’article de Franc Schuerewegen (traduit en hongrois par Anikó Ádám) interroge la capacité d’un texte à acquérir de nouveaux sens selon son contexte éditorial, à partir des Épisodes non publiés en volume séparé ‒ qu’ils soient considérés isolément ou insérés dans S/Z.

Anikó Radvánszky réalise une analyse centrée sur l’espace dans les différentes périodes de l’œuvre de Barthes. Elle propose une lecture approfondie de L’Empire des signes ‒ œuvre hybride née du séjour japonais du théoricien ‒, où Tokyo devient le lieu d’une circulation libre et jubilatoire des signes, en contraste avec l’urbanité occidentale.

Eszter Horváth étudie la question de l’auteur « mort » et simultanément « renaissant » chez Barthes et Foucault : tous deux s’interrogent sur la production du texte en dehors d’une conscience créatrice, montrant la nécessité de mobiliser la psychanalyse pour penser les structures complexes de la subjectivité.

Csaba Horváth, quant à lui, analyse la fonction de l’auteur dans Harmonia Caelestis et Revu et corrigé de Péter Esterházy, avant d’ouvrir une réflexion historiographique autour des figures d’Akhenaton et de Moïse, illustrant l’instabilité du statut d’auteur dans le rapport entre mémoire et écriture.

Anikó Ádám s’intéresse à la théâtralité dans l’œuvre barthienne : textes, images, photographies et scène se rejoignent dans un espace de signes masqués que le lecteur doit déchiffrer. La langue apparaît comme le lieu premier de cette mise en scène, où les signes voilent et dévoilent simultanément.

Zoltán Z. Varga se concentre sur les notions récurrentes du corps, du désir et du plaisir, notamment dans Le plaisir du texte, en montrant comment le corps, dans son rapport à la mode ou à la lecture, se configure comme un système signifiant et imaginaire.

Tímea Jablonczay retrace l’influence de Barthes sur Peter Brooks, en particulier autour de la notion de désir narratif. Elle met également en lumière les divergences entre les deux théoriciens, par exemple dans leur traitement du « strip-tease » textuel.

Györgyi Földes étudie l’omniprésence du corps dans l’œuvre barthienne, ainsi que les analogies qu’il entretient avec le texte. Elle souligne notamment la dimension « organique » de la grammatique barthienne, ainsi que l’importance accordée au plaisir contre une lecture strictement intellectuelle.

Annamária Varró analyse elle aussi Le plaisir du texte, en soulignant le rôle de la dissolution jubilatoire du moi dans l’acte de lecture, où corps et texte s’inscrivent mutuellement dans un jeu voluptueux d’interruptions.

Éva Martonyi retrace l’histoire de la réception de Fragments d’un discours amoureux et défend la possibilité de le lire comme roman amoureux imitant le discours plutôt que le décrivant.

Nikoletta Házas compare les méthodologies de Mythologies et des Fragments, montrant que dans les deux cas, Barthes conçoit la méthode comme une matière modulable, ce qu’elle illustre par une étude actuelle sur la culture émotionnelle.

Timea Gyimesi se penche sur les affinités entre Barthes et Deleuze, notamment autour de la voix et du corps, et analyse Les sorties du texte sous l’angle d’une textualité vocale. Son étude s’achève sur l’analyse barthienne de Chopin, où le corps se manifeste dans la musique.

L’article, malheureusement posthume, d’Éva Jeney explore la relation entre les théories barthiennes du plaisir et les pratiques contemporaines de thérapie littéraire, qu’elle relie également au tournant affectif de l’œuvre après le Journal de deuil.

Enfin, Beatrix Visy et Márton Tanos abordent tous deux la théorie barthienne de la photographie. Visy analyse La chambre claire dans son rapport au deuil, à la subjectivité et au passé. Tanos applique cette théorie à La mort d’un athlète de Miklós Mészöly, soulignant l’affinité entre photographie, mort et écriture.

Ainsi, le recueil articule des textes moins connus et des œuvres majeures de Barthes, tout en montrant que les problématiques des chercheurs hongrois s’inscrivent pleinement dans les orientations contemporaines des études littéraires : intermédialité (mode, théâtre, musique, visualité), poétique du corps et conception thérapeutique de la lecture et de l’écriture. La diversité des études démontre la capacité de l’œuvre barthienne à nourrir des recherches portant sur des périodes ‒ de l’Antiquité au postmodernisme ‒ et des formes artistiques multiples.2


  1. Budapest : Kijárat Kiadó, « Apropó 3 », 2019 : 336.↩︎

  2. Traduit par Bence Matuz.↩︎