Verbum – Analecta Neolatina XXVI, 2025/2
ISSN 1588-4309; https://doi.org/10.59533/Verb.2025.26.2.4
Abstract: For Lorrain, storytelling was as important as life itself. He was feared and hated for his writing and personality, and was an endless source of inspiration for the malicious gossip and attacks of his detractors, whom he portrayed in his famous Pall Mall Semaine without their knowledge.
Keywords: chronicle, history, Paris, perversion, woman
Résumé : Chez Lorrain, raconter vaut la vie elle-même. Craint et haï pour ses textes et sa personnalité, il a été une source intarissable pour réveiller les mauvaises langues et les attaques de ses détracteurs qu’il a portraiturés à leur insu dans ses célèbres Pall Mall Semaine.
Mots-clés : chronique, histoire, Paris, perversion, femme
Peut-on qualifier Jean Lorrain d’écrivain atypique, alors que certaines de ses œuvres ont rencontré un vif succès de son vivant et qu’il a été reconnu comme le chroniqueur le mieux payé1 de la Belle Époque ? Cette question reste controversée, notamment en raison de la censure2, survenue juste après sa mort, d’une œuvre qui semblait en parfaite adéquation avec la vie sociale et urbaine de son temps. Son succès repose principalement sur son activité en tant qu’écrivain d’articles, puisque jean lorrain a été le précurseur du « Pall Mall Semaine »3, une série d’articles consacrés à divers événements et publiés dans des revues telles que L’Écho de Paris et Le Journal4. Il a également contribué à l’élaboration de la formule du roman-feuilleton, ce qui lui a permis de publier sous forme d’épisodes certains de ses romans, comme Monsieur de Phocas, Monsieur de Bougrelon et Les Noronsoff, entre autres. Toutefois, c’est lorsqu’il remplace son « Pall-Mall » par une rubrique intitulée « Poussières de Paris », qui selon son biographe Georges Normandy, était « une série de portraits littéraires et mondains qui mirent le Tout-Paris en rumeur »5, qu’il doit en subir les conséquences, et ce, jusqu’aux alentours des années 1970, car
Lorrain, disparu, paya la rançon du polémiste. Tous ceux que vivant il avait fouaillés d’une plume cruelle, se vengèrent du satiriste défunt. Les calomnies, les médisances furent à profusion répandues contre celui qui était si terriblement craint, lorsqu’il rédigeait ses fameuses chroniques que personne n’a jamais égalées.6
Dans ces périodiques7 dédiés à la vie nocturne parisienne et aux mœurs de la Belle Époque, Jean Lorrain met en lumière des personnages marginaux, des artistes et des amours tumultueuses, ainsi que des dégénérescences profondément ancrées dans la ville et ses environs. Ces éléments, à la fois fascinants et déterminants, lui permettent d’explorer les interactions entre les personnages, dont l’essence existentielle souligne une sensibilité à la mélancolie et à l’éphémère. À cet égard, Louis Marquèze-Pouey souligne : « Moderniste modernisant M. Lorrain portraiture d’une plume aiguë les amincis du Bois et les rôdeurs de barrière, […] tout ce qui sent le neuf, l’anglo-américain, la vie électrique, la névrose […] Crème de vice, gratin de décadence […]8. »
Porte-parole d’une critique sociale souvent acerbe, il dénonce les travers de son époque, profondément marquée par deux tendances antagonistes : d’une part, une volonté de restaurer la dégénérescence de la population française, et d’autre part, une aspiration vers un au-delà en construction, sous l’influence d’un nouvel ordre économico-politico-social, souvent désigné comme modernité. Dans un contexte où l’extrême pensée prédomine, incarnée par des masques9 qui symbolisent un regard acéré porté sur les comportements, attitudes et symptômes de la société, l’écriture de Jean Lorrain, empreinte d’une ironie cynique, révèle une issue ‒ même illusoire ‒ où l’esthétisme décadent émerge comme une réponse aux maux de son temps, ouvrant ainsi un espace de dialogue entre littérature et art.
Concernant « Poussières de Paris » qui se compose de deux volumes publiés sous le même titre et regroupant certaines chroniques issues de L’Écho de Paris entre 1894 et 1895, ainsi que du Journal10 entre 1899 et 190011, Jean Lorrain forge sa réputation de journaliste12 au détriment d’une carrière littéraire ternie par la nature souvent scandaleuse de ses écrits. Ces chroniques, rédigées en accord avec son image provocatrice, s’adressent régulièrement à ceux qui se croient « trop bien cultivés », défiant ainsi les conventions du milieu littéraire. Ainsi, la plupart de ses amis littéraires, influencés par la réputation de l’homme et du chroniqueur, ont considéré son œuvre fébrile et hâtive, estimant que le conteur surpassait le romancier13.
Cet état de fait s’explique, d’une part par la façon dont il aborde des sujets controversés, tels que l’homosexualité et la marginalité, lui permettant ainsi de remettre en question les conventions sociétales de son époque. D’autre part, il privilégie une esthétique décadente qui valorise l’émotion et l’impression dans l’appréciation de l’art, se posant ainsi en critique des normes classiques de beauté. En définitive, ce qu’il aspire à capturer c’est l’essence des œuvres d’art et des artistes de son temps : « Lorrain va s’ouvrir une tribune dans la presse, en première page des grands organes auxquels il collaborera, du haut de laquelle il fustigera, lancera ou encensera les œuvres et les artistes de l’époque14. »
En revanche, envisager l’extension de son œuvre et la source esthétique qui occupe la place la plus importante dans l’élaboration du texte littéraire permet d’avoir une vision panoramique digne de confiance d’une époque précise, celle de la fin du 19e siècle, souvent synonyme de révolte contre l’ordre établi, de « mépris à l’égard de la réalité politique et sociale »15.
Les Poussières de Paris se présentent donc comme un répertoire d’examen critique de la fin-de-siècle, offrant un regard rétrospectif sur cette époque charnière de l’histoire qui se repère par une sensibilité diffuse, devenant ainsi une sorte de point de ralliement clandestin où se reconnaissent et se retrouvent tous ceux qui partagent, ne serait-ce que par leur refus, une certaine conception du monde16.
À travers les aperçus comportementaux et les commentaires sociaux de ces chroniques, Jean Lorrain exploite les interactions entre les personnages pour mettre en évidence les pressions et les normes de la société. Chaque réflexion culturelle et chaque observation sur les attentes rigides et souvent superficielles de cette époque s’inscrivent dans une exploration minutieuse de la vie trépidante et complexe de la ville17.
Car rien n’échappe au regard avisé de Jean Lorrain quand il met en avant des personnages18 souvent en proie à des désillusions, des passions destructrices et une quête de sens dans un monde en déclin, à l’image de la comtesse de Castiglione, favorite de Napoléon III :
Désespérée de voir se faner la splendeur d’une chair aimée par un roi et par un empereur, la comtesse de Castiglione s’était retirée du monde, cloîtrée vivante dans un petit appartement de la rue Saint-Honoré, tout près de chez Voisin, d’où on lui apportait ses repas; et, là, dans l’obscurité des persiennes toujours closes, devant des miroirs voilés, pour que son image même ne lui apparût plus, ne sortant qu’à dix heures du soir, masquée d’une épaisse voilette, elle vient de s’éteindre dans le désir et la volonté de mourir invisible, loin des yeux, toute à son passé, elle, cette attardée dans notre temps, qui n’aspirait qu’à l’oubli. (Jeudi 14 décembre)
Ou à travers les nombreuses prétendues comédies de mœurs de Maurice Donnay19 :
Mieux ou pis, il a voulu réhabiliter l’amour et la passion auxquels il ne croyait pas naguère ; cet amour et cette passion qu’il a si finement raillés même ; que dis-je ? il a voulu proclamer le droit à la vie, le droit de vivre sa vie (dangereuse thèse qui peut conduire au droit au meurtre, au droit à la débauche, et au droit au vol, puisqu’il établit déjà l’adultère). (Mercredi 3 mai)
Jean Lorrain souligne que la passion humaine, bien qu’elle puisse offrir des instants de bonheur fugace, est souvent assortie de conséquences douloureuses et de pertes, tant sur le plan personnel que social. Cette quête ardente de sentiments intenses peut même engendrer des actes de transgression « par des baisers enragés de luxure, où l’amour d[oit]t avoir le goût du sang ». (Samedi 28 janvier)
Fascinante et dévorante, la passion qu’il explore lui permet surtout de porter un regard critique sur une société qui célèbre l’excès et le matérialisme face à « la misère [des] bas quartiers des pauvres et des déchus » (Samedi 3 février). À travers les descriptions de la vie nocturne et des frasques des aristocrates et artistes de son époque, il exprime souvent une profonde amertume et une désillusion face à ces comportements voués à la débauche :
Willette, dans sa fameuse fresque du Chat-Noir, intitulée : « Miserere », nous avait déjà montré ce Paris de luxure et de perdition, entraînant du haut de Montmartre toute une chevauchée de nudités fragiles et délirantes : cocottes haut troussées, premières communiantes, blanchisseuses éveillées, petites femmes pantalonnées de batiste et corsetées de satin noir ; tout le sabbat moderne de la prostitution se ruant à la curée de l’or. (Samedi 3 février)
Curieusement pour Jean Lorrain la débauche est également perçue comme superficielle et dépourvue de sens, car :
C’est le défilé un peu spectral et aguichant des élégances phtisiques, des chloroses fardées et des pâleurs, et des langueurs d’anémies, l’air de petites bêtes malfaisantes et malades, des petites prostituées de la place Blanche et de la Butte, Bérénice et autres petits calices de fleurs faisandées […]. Il y a là des insexuées et de fâcheuses androgynes, des bouches de proie et d’agonie, des morphinées, des éthéromanes et des buveuses d’absinthe, il y a de pauvres petites filles qui n’ont pas mangé de la journée, des pourritures naïves et des ferveurs émaciées de Lesbos, il y a beaucoup de pitié aussi dans tout ce vice, mais il n’y a pas de hideur. (Samedi 18 février)
En fait, les comportements immoraux et antisociaux, empreints de vices notamment à travers la toxicomanie20, et la débauche sexuelle, s’inscrivent dans une esthétique décadente qui cherche à contester l’ordre établi et ses lois car comme le mentionne Gérard Peylet les esprits fin-de-siècle s’engouffrent dans « l’exploration malsaine des bas-fonds de l’âme, vers l’exercice compliqué des perversions psychiques et […] [d]es anomalies de la sexualité »21.
Pour Lorrain, ces plaisirs illusoires servent non seulement à explorer la complexité de l’expérience humaine, mais également à questionner les limites de la moralité et de l’identité de la fin de siècle. Cette réalité sociale est particulièrement évidente chez certaines femmes qui :
Pour se consoler […] doublent, triplent et quadruplent la dose de morphine et débarquent au café de Paris, singulièrement excitées, et il en résulte un caquetage et un abatage tel que les petites femmes du monde qui s’aventuraient, il y a un mois, parmi les impures, ont complètement déserté la droite pour la gauche et se tiennent maintenant tassées à l’entrée de l’établissement. (Samedi 20 janvier)
Détournée de ses vertus médicales, la morphine se transforme, dans certains cas, en symbole de distinction et en un moyen d’évasion face à la vulgarité du quotidien et la dureté du réel pour les femmes de la fin-de-siècle. Comme le remarque Marc Dufaud :
Le Paris fin de siècle est peuplé de ces morphinées en quête d’émancipation et de sensations neuves, antinaturelles et déviées. D’un coup de Pravaz magique, la fée grise transforme ces grisettes en Cendrillon fin de siècle : la pâleur est le credo, teint décavé, maladif, cernes violacés et maquillage bleuté pour petites fées grisées aux lèvres écarlates22.
De manière générale, l’état de décadence s’oriente vers une réalité totalement dépoétisée, reflétant les agissements de la population. Car, rien n’échappe à la Décadence, qui se manifeste tant dans le corps que dans l’esprit, franchissant toutes les barrières idéologiques. Dans ce contexte, la politique par exemple se traduit par un pessimisme omniprésent : « Ici, c’est la boue dans les rues, la boue dans le ciel, la boue dans les yeux, la politique […] » (Samedi 4 octobre). Dans cette période de déclin et de dégradation, elle détient ce pouvoir absolu de créer, parfois ironiquement un paradoxe de « confusion du dessous et du dessus, du BAS et du HAUT » comme le signale Jean de Palacio23, en voici un vif exemple : « Celles enfin, que nous appelons les grandes amoureuses, étaient des monstres de perversité parce qu’elles attelaient à trois ou quatre ! Pauvres petites chattes ! on les canoniserait, maintenant. » (Vendredi 24 mars).
Les chroniques de Jean Lorrain rendent manifeste à quel point la fin-de-siècle incarne les dilemmes et les tensions d’une époque en mutation, où les contraires se croisent et sont constamment remis en question. Il en va de même pour la science, pour laquelle Jean Lorrain se positionne en fervent détracteur :
La Salpêtrière installée en plein Paris 1900, sous une température de 35 degrés à l’ombre et de 48 au soleil ; tout ce qu’il faut pour développer la neurasthénie dans une population déjà déprimée par la qualité de l’eau, la rareté de l’air et les veilles, une source de gains certains et de fortunes futures pour tous les médecins aliénistes et les maisons de santé du département. (Mardi 24 juillet)
À travers la perte de confiance envers les institutions, Jean Lorrain révèle leur inefficacité et met en évidence les dangers d’un déséquilibre entre progrès et valeurs fondamentales de bienséance qui ont disparu dans la société qui est régie par l’argent :
[Jean Lorrain] avait le génie cruel et infaillible des tares que produit la pléthore de l’argent. Chaque fois que l’argent entrait quelque part, il en notait le ravage et la décomposition immédiate. Personne comme lui n’a montré l’égoïsme fade et bas, l’humeur froide, la méchanceté mécanique, l’usure et la futilité des êtres pour qui l’argent est le but suprême de la vie24.
Si les chroniques des Poussières de Paris offrent, sous de nombreux angles, une analyse approfondie de la condition humaine et des bouleversements sociaux qui caractérisent la fin de siècle, on remarque pourtant que Jean Lorrain s’affiche comme un censeur face à ces évolutions. Grâce à son écriture journalistique, marquée par un style conversationnel, teintée d’une ironie singulière, il perturbe le bon entendeur qui peut se sentir visé25. À cet effet, Hector Fleischmann, écrit : « Quand je dis que M. Lorrain est le concierge de la littérature, il suffit pour s’en convaincre d’ouvrir les deux volumes des Poussières de Paris qui contiennent tous les cancans, les papotages et les insinuations recueillies dans les bars et les mauvais lieux journalistiques26. »
Par moments, en tant que porte-parole de la rumeur publique et des personnages qui peuplent son époque, Jean Lorrain donne à ses chroniques une dimension de journal intime où il exprime ouvertement ses pensées et sentiments. Il établit un lien symbolique entre les vivants et les morts, en évoquant à la fois le déni et l’omniprésence de la mort. Cette dernière, qu’il avait perçue dans les visages féminins des prostituées acculées au pires débauches est ubiquiste, et illustre l’interaction systématique entre ces deux mondes. Au-delà de la perte radicale et irréversible du corps terrestre, la notion allégorique qu’il façonne lui permet de saisir la réalité de la vie quotidienne au sein d’un contexte historique et culturel spécifique.
Ainsi, pour rendre hommage à Georges Rodenbach, un poète belge, Jean Lorrain reprend les mots d’Octave Mirbeau pour souligner que Rodenbach était une âme sensible ayant passé son enfance dans les cimetières de Bruges, cette « Bruges la morte », dont il percevait l’atmosphère d’antan, reflétée dans l’étain des canaux. Lorrain se souvient de lui comme un poète profondément marqué par la mort, hanté dans chaque œuvre par le souvenir d’une enfance assombrie. Au-delà d’une existence empreinte de la présence des cimetières, Jean Lorrain cite un passage du Miroir du ciel natal (1898) qui est le dernier poème du poète défunt, pour mettre en lumière les ramifications de la mort. D’une part, ce poème explore minutieusement la stratification du lieu, à travers le choix des termes suivants qui établissent ‒ sans la nommer ‒ la mort en employant l’église27, puis par « silence », « tristesse », « malade », « souffrance », « odeur », « mort », « tombeaux », « cercueils », « ossements », et « néant ». Viennent ensuite les adjectifs qui ont une valeur métaphorique : « vieille », « morte », « assombri », « maladive ». Enfin, par les verbes qui évoquent la mort : « rêver », « sentir », « défaillir », « mourir ». (Dimanche 1er janvier) Par l’emploi du substantif « église », nous pouvons imaginer que la défunte ‒ son épouse ‒ a été inhumée parmi les bienfaiteurs des églises, les princes, les prélats, les grands dignitaires, ceux qui ont mérité une place près des saintes reliques. En capturant les instants éphémères de l’œuvre de Rodenbach, Jean Lorrain immortalise le portrait du poète incarnant le « lamento ».
De multiple façons, l’ambition de Jean Lorrain est de dépeindre un environnement éphémère, une réalité qui résonne profondément avec la parabole incommensurable : « Tu es poussière, et tu retourneras à la poussière28. » (Genèse 3 :19), issue des Saintes Écritures. Cette réflexion se rapporte également à l’agitation provoquée par l’industrialisation et les projets d’urbanisme menés par le baron Haussmann, chargé du réaménagement de Paris. En effet, ces transformations ont engendré un bouleversement dévastateur des traditions françaises, se manifestant à travers une réalité urbaine palpable dans les rues, caractérisée par la misère, le vagabondage, la prostitution et une inquiétante dégradation des valeurs. À chaque coin de rue, la névrose, l’hystérie et la syphilis se faufilent, esquissant les contours d’un destin tragique, irrémédiablement voué à la mort. À cet égard, la chronique du 6 août 1899 partage son expérience personnelle et met en lumière le malaise profond qui l’envahit dans un espace de deuil :
Devant la Morgue, une affluence de foule arrête notre voiture. Une curiosité de l’ami que j’accompagne m’y fait entrer, et, le dirai-je ? pour la première fois de ma vie. Comment se comporteront mes nerfs devant le funèbre étal ? J’en ai le cœur pincé d’angoisse. Je redoute une émotion que je pourrai toujours attribuera la chaleur et j’entre bravement. L’étal m’est une déception : quatre noyés sont là, couchés derrière une vitre épaisse, dans une buée verdâtre, comme dans la cage de verre d’un aquarium. Sont-ce des cadavres ? J’ai la sensation d’avoir devant moi quatre figures de cire ; l’appareil frigorifique donne à ces chairs mortes un aspect gras et vernissé que j’ai déjà vu au musée Grévin. La foule défile, d’ailleurs indifférente ; des fillettes entrent en curieuses, qui ressortent et puis rentrent avec des amies ; des ménages endimanchés taillent curieusement les cheveux et les cils des morts. C’est tout juste si on n’amène pas les enfants voir la gueule que font les macchabées : le père voudrait bien, mais c’est la bourgeoise qui ne veut pas. C’est un plaisir de quartier29.
Dans cet extrait, Jean Lorrain nous surprend par la teneur de son langage lorsqu’il évoque la foule qui fréquente ce lieu, en décrivant avec une acuité saisissante les comportements qui se déroulent sous ses yeux. En effet, bien que le texte soit clair, il se prête à deux interprétations distinctes. Premièrement, l’image du funérarium échappe aux passants et semble s’évanouir lorsque Jean Lorrain le compare à un musée de cire, car il est perçu comme un simple lieu de divertissement. Deuxièmement, cette comparaison renvoie à l’exposition horizontale des cadavres « transformés en cire », qui évoquent à première vue les statues funéraires et les sculptures gisant dans les cimetières. Par conséquent, nous nous trouvons peut-être à un tournant, car à la fin de la chronique, Jean Lorrain ressent une profonde répulsion face au spectacle de la mort qui se dévoile devant lui. Étonnamment, cette vision terrifiante l’éloigne de sa première réaction. En évoquant le peintre Goya dans l’extrait suivant, il parvient à transformer l’horreur en une représentation esthétique, créant ainsi une vision à la fois saisissante et troublante où les descriptions semblent alors se métamorphoser en une œuvre picturale, comme en un acte défensif face à une réalité insupportable :
La foule me semble pourtant plus surexcitée qu’à une fête ordinaire, et puis il y a renfort de gardes municipaux. Je m’informe ; on vient de transporter dans les caveaux les victimes non reconnues de la catastrophe d’hier : les tués de Juvisy30, je n’y songeais pas. C’est pour le coup que j’ai bien envie de m’en aller ; mais mon ami insiste et je prends sur moi de faire passer ma carte au commissaire de service. […] C’est un cauchemar. Bouffies, tuméfiées et noirâtres, les têtes apparues ont des faces de nègres, des faces congestionnées et huileuses, avec du sang coagulé dans les narines et d’atroces prunelles révulsées sous des paupières, où on ne voit que du blanc. Ce sont des cadavres d’étranglés, des chairs injectées qui évoquent des idées de supplices, des yeux jaillis de leurs orbites comme dans les plus horrifiantes planches de Goya.
Quoi qu’il en soit, il est manifeste que la fin du 19e siècle en France est marquée par une sensibilité subtile envers la mort. Souvent, Jean Lorrain, plutôt que de privilégier une représentation fidèle de la réalité, s’attache à troubler sa perception de la mort. Ainsi, il s’éloigne de toute relation logique avec le réel, car l’écriture d’un texte s’apparente à l’observation d’une œuvre d’art. Par conséquent, lorsqu’il décrit Le Monument aux morts31, il transgresse les limites de l’expression et de la représentation artistique, en offrant une multitude de perspectives visuelles. Il exprime effectivement « l’impossibilité de tout dire […] avec l’urgence d’en dire plus que ce qui est »32. En somme, il établit dans le domaine visuel du champ de l’imaginaire ces deux actes simultanément :
Dans la mélancolie de ce tiède novembre, retourné voir le monument de Bartholomé. L’emphase et la redondance des figures de Dalou m’ont donné, avec la nostalgie des formes pures et frêles, l’idée de ce pèlerinage, et dans le cimetière, aujourd’hui désert, les groupes symbolisant la détresse et l’effroi du Maître de la Mort prennent, dans la clarté jaune de ce jour d’automne, une grandeur émue et significative […]. C’est une pauvre humanité qui s’achemine là, défaillante d’angoisse et de terreur, vers la porte fatale, et j’admets, devant ces torses déjetés et ces hanches fuyantes, tous les reproches qui ont été faits au sculpteur : l’anatomie de presque toutes ces figures est défectueuse ; mais n’est- ce pas une humanité de misère déjà déchue et presque frappée, puisque déjà, pour la plupart, entrée dans la mort ? (Mardi 21 novembre33 – Au Père Lachaise)
Au-delà de l’importance du moment présent, la vision de Jean Lorrain transcende le champ perceptif et sensoriel du monument funéraire, car elle intègre l’imaginaire dans l’image, laquelle semble raconter librement sa propre histoire :
C’est bien un peuple d’ombres qui se presse, pleure et hésite au seuil de l’inconnu; autour d’elles, s’étagent des mausolées et des tombes, et dans la solitude du cimetière, le long des chemins bruissant de feuilles mortes, c’est ce détail exquis, puéril et touchant, d’un bouquet de violettes insinué furtivement, glissé sous la porte de bronze d’un caveau funéraire: une idée certainement d’une âme restée très jeune ou d’un tout petit enfant, que cette furtive offrande posée sous cette porte, quand on aurait pu la suspendre aux grilles, et, comme un billet doux, poussée plus près du mort34.
En effet, Jean Lorrain ne se limite pas à représenter l’image réelle ; au contraire, il trouble la perception du monument funéraire qui défile sous ses yeux, cherchant ainsi à recréer une nouvelle image sensorielle et poétique en harmonie avec sa propre création artistique. Il démontre ainsi comment la dimension symbolique de de la mort s’articule autour d’une série de caractéristiques anthropologiques qui tissent des liens entre les individus, les valeurs et les croyances. Certes, chaque représentation de la mort est indéniablement façonnée par le contexte culturel et historique qui la façonne, et elle émerge lorsque telle connexion est établie. En fin de compte, Jean Lorrain nous éclaire sur le fait que la mort entretient une relation dialectique avec le commun des mortels, en s’appropriant l’environnement végétal, animal et cosmique qui l’entoure.
En tant que répertoire historique, Poussières de Paris s’inscrit à la fin de siècle et permet à Jean Lorrain de mettre en évidence un discours social qui proclame une dégénérescence de la race, manifestée par des tares héréditaires, l’atavisme, les dangers vénériens, l’alcoolisme, la toxicomanie, l’infertilité, la faible natalité, la falsification des aliments et la pollution industrielle. Il souligne également que, lorsqu’il s’agit de comparer le passé avec le présent ou l’avenir, les partisans de ce discours justifient leur point de vue en évoquant une décadence morale, marquée par l’augmentation de l’irréligion, la dissolution de la famille, l’accroissement de la dette publique et divers troubles psychologiques, allant des aberrations de l’instinct sexuel à l’hystérie, la névrose et le taux alarmant de suicides. À l’instar des analyses de Marc Angenot35 sur cette époque, les éléments que l’on retrouve dans les chroniques de Jean Lorrain offrent une perspective convaincante de cette vision critique.
En relation avec le répertoire symbolique, Jean Lorrain explore, à travers la mort ‒ cette grande inconnue ‒ son ambivalence et sa représentation, qui s’éloigne de l’archétype originel. Il met en lumière l’opposition entre deux types de corps : l’un, putréfié, et l’autre, spirituel, tel que représenté dans les poèmes de Rodenbach. Dans le « Monument aux morts », Lorrain évoque également l’idée de corps qui ne décomposent pas, mais qui transcendent la matière, incarnés dans des effigies sculptées en marbre. En revanche, dans la morgue, qui fonctionne comme une vitrine de la mort, il tente d’insuffler une certaine spiritualité aux cadavres de cire, la réalité finit toujours par ressurgir.
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« L’année 1886 le fait entrer au Courrier français (il y restera 5 ans) ; 1887 le voir au journal L’Evènement, et il y écrira jusqu’en 1890, date de son passage à L’Écho de Paris. Cinq ans plus tard, nous l’avons vu au sommet de sa réputation, et, désormais au Journal, il est devenu un des journalistes les mieux payés de Paris, tout en s’étant assuré une certaine estime chez les écrivains […] » Voir l’introduction de Poussières de Paris. Paris : Klincksieck, 2006 : X.↩︎
« Dès le lendemain de ses obsèques, toutes les cuistreries éclopées, toutes les fausses dignités salonnières écorchées, tentèrent, en sourdine, de faire admettre que Jean Lorrain devenait hors la loi, qu’il ne méritait que le silence et, surtout, que ses écrits ne valaient que l’oubli - que son nom et son souvenir étaient une honte. » G. Normandy : Jean Lorrain intime, Paris : Albin Michel, 1928 :174.↩︎
La Pall Mall Gazette a été fondée à Londres en 1865 par l’éditeur George Murray Smith. Son nom provient d’un joual fictif du roman de William Makepeace Thackeray, The History of Pendennis publié entre 1848 et 1850. L’intrigue se déroule dans l’Angleterre victorienne, notamment à Pall Mall, à Londres, où se concentrent de nombreux clubs pour gentlemen. Dans les années 1880, la Pall Mall Gazette était l’un des journaux les plus influents de Londres, se distinguant par des articles sensationnels rédigés par d’éminents contributeurs tels que George Bernard Shaw et Oscar Wilde, parmi d’autres.↩︎
Il écrivit également dans d’autres revues : Le Zigzag, Le Chat Noir, La Vie moderne, Le Courrier français, La Décadence, La Presse, La Vogue, L’Événement, L’Écho de Paris ou Le Journal.↩︎
G. Normandy : Jean Lorrain intime, op.cit. : 174.↩︎
J. Dorsenne : « Le souvenir de Jean Lorrain », Nouvelles littéraires, 12 juin 1926 : 4.↩︎
« Une grande partie des quotidiens à la fin du XIXe siècle et à la Belle Époque, par exemple L’Écho de Paris Le Parisien, Le Journal dont le tirage, dès 1894, dépasse 300 000 exemplaires par jour, […] garnissent les premières pages de leurs quotidiens de récits brefs, de saynètes, de récits minuscules dus à des grandes plumes comme Catulle Mendès, Théodore de Banville, Jean Lorrain, Jean Richepin. ». M.-E. Thérenty : La Littérature au quotidien, Paris : Seuil, coll. « Poétique », 2007 : 103.↩︎
L. Marquèze-Pouey : Le mouvement décadent en France, Paris : PUF, « Littératures modernes », 1986 : 99.↩︎
Voir V. Ferrety : « Le masque objet et le masque du faux-semblant de Jean Lorrain », Verbum ‒ Analecta Neolatina XXIV, 2023/1.↩︎
« Le Journal, manifestement, assume l’héritage très littéraire du quotidien à la française en embauchant une rédaction d’élite : « Sous la Troisième république, de plus en plus souvent, les écrivains (Catulle Mendès, Octave Mirbeau, Jean Richepin, Alphonse Allais, Théodore de Banville, Jules Renard, Jean Lorrain) se dépeignent comme des mercenaires des périodiques. À la tête des rubriques personnelles dont les succès conditionnent la vente du journal, Ils constituent de vraie valeur sur le marché de la presse. » M.-E. Thérenty : La Littérature au quotidien, op.cit. : 10–11.↩︎
Poussières de Paris, T. I. Paris : Fayard, 1896 & Poussières de Paris, t. II. Paris : Ollendorff, 1902.↩︎
« Son talent raviva la chronique parisienne, qui se mourait. Jean Lorrain y déploya des audaces de plume et de langage, des trouvailles de mots et d’argot. Si être imité est une preuve de talent, il eut du génie, car depuis dix ans, presque tous les chroniqueurs [l’] imitent. » R. Wisner : L’Action, 11 juillet 1906.↩︎
T. Anthonay : Jean Lorrain, Miroir de la Belle Époque, Paris : Fayard, 2005 : 132.↩︎
Ibid. : 539.↩︎
J. Heistein : Décadentisme, symbolisme, avant-garde dans les littératures européennes, Recueil d’études, Paris : Nizet, 1987 : 14.↩︎
S. Jouve : Obsessions et perversions dans la littérature et les demeures à la fin du XIXème siècle, Paris : Hermann, Collection « Savoir Lettres », 1996 : 2.↩︎
Dans Poussières de Paris, Jean Lorrain mentionne également d’autres villes.↩︎
Il s’agit souvent de personnages réels et de personnes contemporaines ou historiques.↩︎
Maurice Donnay fut une figure notable du monde littéraire français, parmi ses œuvres, celles que mentionnent Jean Lorrain sont La Douloureuse (1897), Amants (1895), Georgette Lemeunier (1898).↩︎
Jean Lorrain était un reconnu éthéromane.↩︎
G. Peylet : L’Artifice et ses expressions littéraires dans les dernières années du XIXème siècle. Thèse pour le doctorat d’Etat, sous la direction de L. Forestier, Université de Paris X Nanterre, 1981 : 24–25.↩︎
M. Dufaud : Les Décadents français, Paris : Scali, 2007 : 279.↩︎
J. de Palacio : Configurations décadentes, Louvain, Paris : Dudley, Peeters, coll. « La République des lettres » (no 33), 2007 : Pref. VII.↩︎
F. de Miomandre : « L’ennemi des riches », Figures d’hier et d’aujourd’hui, Paris : Dorbon Aîné, 1911 : 50.↩︎
« Dès ses premières chroniques. Lorrain étala donc pour ses lecteurs tous les dessous. Toutes les dentelles, tous les corsets qui les effriolaient, mais il ne tarde pas à les leur jeter à la tête comme des paquets de linge sale. Dure contrainte pour un sodomite que de louer les courtisanes ! II s’en consolait par la férocité. » P. Jullian : Lorrain ou le Satiricon 1900, Paris : Fayard, 1979 : 111.↩︎
Jean Lorrain, Correspondances, éd. établie, présentée et annotée par Jean de Palacio, Paris : Honoré Champion, 2006 : 233.↩︎
« Être enterré à l’église était une tolérance accordée à la fois par les responsables religieux […] les seigneurs importants et les fondateurs ou les bienfaiteurs des chapelles […] En échange de legs effectués dans le cadre d’un testament, beaucoup de laïcs demandaient à y être inhumés. Ainsi les familles les plus aisées de la paroisse pouvaient obtenir une place dans la nef, dans une des chapelles de l’église voire dans le chœur car cela dépendait de la somme d’argent que l’on était prêt à consacrer pour enterrer le défunt. » R. Abiven : Une source généalogique intéressante : les inhumations dans les églises au XVIIIe siècle exemple de Marville (Meuse), Genea-BDF, Nº86, 2008.↩︎
On peut également faire le lien avec le titre de sa rubrique journalistique.↩︎
Il est essentiel de souligner qu’en France, sous l’Ancien Régime, la morgue jouait un rôle fondamental, considérée comme « le complément indispensable de l’état civil » pour le suivi des décès au sein des villages. Cette fonction, qui persista jusqu’à la fin du 19e siècle, illustre une réalité où, pour des motifs d’ordre public, la morgue se transformait en vitrine pour l’exposition des cadavres non identifiés ou non réclamés trouvés dans l’espace public. Son objectif principal était d’identifier les personnes décédées dans la métropole parisienne et de transmettre ces informations aux autorités judiciaires et policières, notamment à la préfecture de police. De plus, la police n’hésitait pas à mobiliser la presse populaire pour relayer ces informations, en publiant des « circulaires de justice » diffusées à des millions d’exemplaires. Ainsi, la morgue représentait le dernier recours pour ceux qui cherchaient un être cher disparu. Comme l’a souligné Goron, ancien chef de la sécurité à Paris : « Je dois vous rassurer, et je vais vous emmener à la morgue pour obtenir les informations les plus récentes. » M.-F. Goron : Les Mémoires de M. Goron, ancien chef de la sûreté, Paris : Flammarion, vol. 4, 1897 : 9. Il est également à noter qu’à cette époque, il était courant d’enterrer les défunts dans des fosses communes lorsqu’ils ne pouvaient être identifiés.↩︎
Le 5 août 1899, un tragique accident ferroviaire s’est produit à la sortie de la gare de Juvisy-sur-Orge, en direction d’Étampes. Vers 22 heures, en plein milieu d’un violent orage, un train en provenance du Croisic, immobilisé devant un signal fermé, a été percuté par un autre train qui l’avait dépassé quelques minutes plus tôt. Cette collision, survenue sur une ligne particulièrement saturée de la Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans, a causé 17 morts et 85 blessés, entraînant ainsi la décision d’augmenter le nombre de voies entre Juvisy et Brétigny (Le Figaro, 7 août 1899).↩︎
Ce monument, réalisé par le sculpteur Paul-Albert Bartholomé, a suscité un scandale en raison de la nudité des personnages représentés : un couple à l’aube de l’au-delà, se tenant face à l’humanité en deuil. Cette œuvre saisissante dissimule l’entrée de l’ossuaire, situé sous la colline, où reposent les restes des défunts exhumés des concessions perpétuelles abandonnées, désormais gérées par l’administration.↩︎
S. Jouve : Obsessions et perversions dans la littérature et les demeures à la fin du XIXème siècle, op.cit. : 39.↩︎
Dans cette seconde visite, le chroniqueur commente l’œuvre du peintre et sculpteur Paul-Albert Bartholomé, intitulée « Le Monument aux morts », située dans le cimetière du Père-Lachaise. Inauguré le 1er novembre 1899 après douze ans de travaux, ce monument est dédié à tous les défunts, sans distinction, en particulier aux personnes anonymes qui n’ont pas de sépulture. Il illustre le passage de la vie à la mort, ainsi que les émotions complexes qui l’accompagnent, mêlant angoisse et espoir.↩︎
Ibid.↩︎
L’impact de ces événements est bien illustré dans l’étude de Marc Angenot, qui explore le discours social de la fin du 19e siècle à travers une série d’analyses portant sur l’année 1889. Il souligne que le changement n’était pas perçu comme un progrès positif, mais plutôt comme un signe de dégradation, car la population éprouvait un « malaise général face à l’idée de progrès ». Ce point de départ du discours social selon Angenot annonçait une crise de civilisation, qu’il a défini comme le paradigme de la « déterritorialisation ».↩︎