Verbum – Analecta Neolatina XXV, 2024/2
ISSN 1588-4309; https://doi.org/10.59533/Verb.2024.25.2.6
Abstract: The aim of this study is to describe the cases of depluralized forms in French. This occurs in two different situations. First of all, these are the historical forms of words in which the markers of plurality lose this value, which leads to the addition of a new plural mark. Secondly, depluralization occurs during lexical borrowing where the imported form which expresses the plural is not felt as such by the speakers of the borrowing language, which leads them to attach a new plural mark. Given that depluralization is treated in various ways, we look not only at French forms but we start from a more complex perspective. This takes into account depluralization in several languages, but we also deal with terminological questions and we indicate the main differences between depluralization, singularization and the double plural.
Keywords: depluralization, singularization, double plural, accumulation of suffixes, morphological plural
Résumé : Le but de cette étude est de décrire les cas des formes dépluralisées en français. Celle-ci se produit dans deux situations différentes. En premier lieu, il s’agit des formes historiques des mots dans lesquelles les marqueurs de la pluralité perdent cette valeur, ce qui conduit à l’adjonction d’une nouvelle marque de pluriel. En deuxième lieu, la dépluralisation se produit au cours de l’emprunt lexical où la forme importée qui exprime le pluriel n’est pas ressentie comme telle par les locuteurs de la langue emprunteuse, ce qui les mènent à accoler une nouvelle marque du pluriel. Étant donné que la dépluralisation est traitée de diverses manières, nous nous penchons non seulement sur les formes françaises mais nous partons d’une perspective plus complexe. Celle-ci rend compte de la dépluralisation dans plusieurs langues mais aussi nous nous occupons des questions terminologiques et nous indiquons les différences principales entre la dépluralisation, la singularisation et le pluriel double.
Mots-clés : dépluralisation, singularisation, pluriel double, accumulation de suffixes, pluriel morphologique
Comme nous le savons tous, les emprunts lexicaux sont les emprunts linguistiques les plus fréquents. L’assimilation de nouveaux mots est menée à bout à travers le processus d’adaptation qui englobe, entre autres, les aspects: phoniques (a), orthographiques (b) ou morphologiques (c). Ceux-ci peuvent être illustrés par les exemples suivants :
Le remplacement des sons français [œ], [y], [z] qui n’existent pas en espagnol, respectivement, par [e], [u], [s] dans les gallicismes suivants : esp. amateur [amatér] (< fr. amateur [amatœʁ]), esp. brut [brut] (< fr. brut [bʁyt]), esp. boiserie [bwaserí] (< fr. boiserie [bwɑzʁi]) ;
Le remplacement de 〈v〉 par 〈w〉 dans les italianismes polonais : pol. brawo ! « bravo ! » (< it. bravo !), lawa « lave » (< it. lava), waluta « monnaie » (< it. valuta);
Le remplacement du suffixe français -age par son équivalent espagnol, c’est-à-dire, -aje1 : esp. aterrizaje (< fr. atterrisage), esp. balotaje (< fr. ballotage).
Naturellement, l’adaptation des emprunts concerne également les catégories grammaticales telles que le genre ou le nombre. Ainsi, les gallicismes espagnols gardent le genre grammatical de leurs étymons français, par exemple, fr. champagne m. > esp. champán m., fr. aviation f. > esp. aviación f. Malgré ceci il y a aussi certaines exceptions : fr. massacre m. > esp. masacre f., fr. affaire f. > esp. afer m. Dans les langues qui disposent de plus d’éléments dans la catégorie grammaticale de genre, par exemple les idiomes qui tiennent en plus du masculin et du féminin, le neutre, celles-ci incorporent les emprunts en les distribuant parmi les trois genres grammaticaux. Ainsi, les substantifs féminins espagnols qui se terminent par la voyelle -a sont féminins en polonais (esp. haciencda f. > pol. hacjenda f.), les substantifs masculins qui se terminent par une consonne, restent masculins en polonais (esp. cóndor m. > pol. kondor m.), en revanche, les mots espagnols qui sont masculins, mais qui se terminent par la voyelle -o, sont souvent interprétés comme neutres : esp. cacao m. > pol. kakao n., esp. patio m. > pol. patio n. Les langues qui ne distinguent pas la catégorie du genre grammatical en empruntant les mots perdent cette information grammaticale, par exemple (port. pão m. « pain » > jap. ン pan « id. ») (Irwin, 2011: 32). Néanmoins, quand c’est la langue qui méconnaît le genre grammatical, elle fournit un nouveau vocable aux langues qui disposent de celle-ci, ces langues attribuent le genre grammatical de différentes manières, par exemple, jap. 漫画 (まんが) manga devient masculin en esp., fr., it., port. manga, mais il acquiert le féminin en pol. et svk. manga.
En ce qui concerne la catégorie du nombre, les mots empruntés gardent généralement le nombre de leurs étymons (cf. plus haut). Les substantifs sont alors habituellement adoptés au singulier. Or, on emprunte les mots, parfois, dans leurs formes du pluriel : it. tifosi m. pl. (← tifoso m. sing. « supporter ») > fr. tifosi m. pl. ou esp. tacos m. pl. (← taco m. « id. ») > jap. タコス takosu (Irwin, 2011: 143). Cependant, si la langue réceptrice importe un mot au pluriel, par exemple, celui-ci comporte un suffixe qui marque la pluralité, mais ce mot est ressenti dans la nouvelle langue comme la forme du singulier, pour exprimer la pluralité on accole à ce vocable un nouveau marqueur du pluriel et nous parlons, dès lors de la dépluralisation (du mot emprunté). Celle-ci est relativement courante en polonais et elle peut être illustrée, par exemple, avec les gallicismes polonais suivants: fr. phrases f. pl. > pol. frazes m. sing. « formule ; cliché » → frazesy m. pl. (ESJP ; SWO) et fr. notes f. pl. > pol. notes m. sing. « bloc-notes ; calepin » (ESJP ; SWO ; Bochnakowa, 2012 : s. v.). Notons que les deux gallicismes rendent la forme graphique des étymons français et non pas leurs formes phonétiques, car le -s final n’est pas prononcé en français, en revanche, en polonais cette consonne est articulée. De surcroît, les deux substantifs, en polonais, ont pris le genre masculin à cause de la terminaison consonantique qui en polonais implique, habituellement, le genre masculin. Dans les formes pol. frazesy, notesy il y a, alors, une accumulation de suffixes de pluriel où le premier est d’origine étrangère (-s) et l’autre est de provenance polonaise (-y).
Cependant, la dépluralisation n’implique pas nécessairement l’accumulation de suffixes. En effet, dans certains cas, le mot est importé au pluriel mais sa forme empêche dans la langue réceptrice d’accoler un nouveau suffixe pluralisable. Ainsi, esp. niñas f. pl. (← niña f. sing.) > fr. ninas m. sing. « petit cigare fait avec des débris de tabac » n’a qu’une seule forme lexicale en français et la pluralisation est possible seulement en employant un déterminant pluriel, par exemple : les / des ninas. De même, esp. ou port. albinos (← esp. ou port. albino) > fr. albinos m. / f. « individu atteint d’albinisme »2. Néanmoins, il n’y pas de dépluralisation, si l’emprunt fonctionne dans la langue réceptrice seulement au pluriel. Indiquons trois exemples en français de ce genre.
Fr. pickles m. pl. « petits légumes, fruits conservés dans un vinaigre aromatisé et utilisés comme condiment » < ang. pickles qui est le pluriel de pickel « saumure » et, par métonymie, « un ou plusieurs aliments conservé(s) dans cette saumure » (DHLF ; DMOE).
Fr. tephillin ~ téphillin ~ téfillin ~ téfilin ~ tefillin m. pl. « phylactères » < hébr. tephillīn qui est le pluriel de tephillāh « prière ; phylactère » (TLF).
Fr. antipasti « assortiment de hors-d’œuvre froids » m. pl. < it. antipasti qui est le pluriel de antipasto « hors-d’œuvre » (TLF).
En plus des cas de la dépluralisation interlinguistique que nous avons vue plus haut, c’est-à-dire, celle qui se produit durant l’emprunt lexical, nous pouvons discerner encore celle qui est de caractère intralinguistique. Celle-ci est le résultat de l’évolution d’une langue qui provoque que certains marqueurs de la pluralité cessent d’être ressentis comme tels par les locuteurs. Les morphèmes qui expriment le pluriel souffrent, alors, la désémantisation, ce qui conduit les locuteurs à repluraliser les mots en leurs accolant de nouveaux suffixes du pluriel. Ce type de dépluralisation est relativement courante en français et dans les autres langues romanes. En effet, un groupe important de mots masculins et féminins français et italiens étaient à l’origine des formes pluriels du neutre latin. Celui-ci se terminait, souvent au nominatif et à l’accusatif pluriels par -a. Ce dernier morphème a cessé d’être ressenti comme le marqueur du pluriel et il a été réanalysé comme un morphème de genre. Voici quelques exemples :
Fr. opéra m. « poème, ouvrage dramatique mis en musique, dépourvu de dialogue parlé » (pl. opéras) est un italianisme qui remonte au latin dans lequel opera était la forme du nominatif et de l’accusatif pluriels de opus, operis n. « œuvre » (DHLF ; TLF). Aussi bien œuvre qu’opéra remontent, alors, à la même racine étymologique. Notons que dans opus ~ opera il est possible de percevoir un cas de rhotacisme. Celui-ci peut être trouvé également dans fr. pécore f. « femme sotte et prétentieuse » (pl. pécores) qui est un emprunt à l’it. pecora f. « brebis » qui est issu du lat. pop. pecora qui est le pluriel neutre de pecus, pecoris n. « bête ; tête de bétail ; bétail» (DHLF ; TLF).
Fr. média m. « moyen de diffusion, de distribution ou de transmission de signaux porteurs de messages écrits, sonores, visuels » (pl. médias) est l’abréviation du composé anglo-américain mass media « id. » qui comprend mass d’origine française (masse) et media qui est la forme plurielle de medium « moyen » (lat. < medium)3.
Fr. prune f. « fruit comestible du prunier » (pl. prunes) est issu du lat. pruna nom., pl. n. qui a été pris comme féminin singulier de prunum « fruit du prunier » (DHLF ; DEH).
Fr. visa m. « cachet, valant autorisation de séjour, apposé sur un passeport » (pl. visas) est issu du lat. visa « choses vues » qui est le nom. pl. n. de visus, le participe passé du verbe lat. videre (> fr. voir) (DHLF ; DEH).
Les cinq mots que nous avons mentionnés plus haut (média, opéra, pécore, prune, visa), ont, donc, des formes précédemment dépluralisées.
La dépluralisation est un phénomène dans le cadre du processus de l’emprunt lexical qui, dans le domaine des langues romanes, n’a pas été, jusqu’à présent, traité avec rigueur. Bien-entendu, elle n’est pas passée inaperçue mais sa description se limite généralement, avant tout, à des énumérations de mots ou à la constatation selon laquelle un mot concret a comme origine une forme au pluriel qui vient d’une autre langue. De plus, le problème repose aussi sur les questions terminologiques. En effet, la dépluralisation, ang. depluralization, (Corriente, LXI), pol. depluralizacja (Altbauer, 1955 ; Fisiak, 1961 ; Cyran, 1975 ; Borejszo, 2007 : 71) est concurrencée, assez souvent, par le terme de double pluriel ~ pluriel double (Trépos, 1956 : 224) employé également dans d’autres langues : esp. plurales dobles (Lastra, 1992 : 208 ; Samper Padilla, Hernández Cabrera, 2008: 398 ) ou ang. double plural (Weekley, 1922: 117). Soulignons, cependant, que celui-ci peut se référer à d’autres phénomènes.
En effet, les pluriels doubles (Curat, 1988 : 42–46) intègrent les mots qui possèdent deux formes du pluriel. En français, il s’agit d’une forme ancienne et d’une forme moderne. Quelquefois l’emploi de ces deux formes n’est pas égal ce qui est dû au fait qu’elles ont des significations différentes. À titre d’exemple énumérons : aïeul → aïeux / aïeuls et ciel → cieux / ciels. De même, en polonais recensons : oko « œil » → oczy « yeux » / oka « yeux du bouillon », ucho « oreille » → uszy « oreilles » / ucha « anses »4. En italien, comme en français, le double pluriel (it. doppio plurale) se rapporte aux substantifs qui possèdent deux formes de pluriel différentes, selon leurs sens, mais aussi ils manifestent une différence de genre grammatical : il braccio → i bracci « bras d’un fleuve ou d’une rivière » / le braccia « bras », il ciglio → i cigli « cils » / le ciglia « bords (d’une route) », il muro → i muri « murs » / le mura « murs d’une ville ; muraille » (Rocchetti, 1968: 352–353 ; Serianni, 2006: 143–147).
D’autre part, en espagnol il y a des substantifs qui possèdent deux formes de pluriel. L’emploi de l’une ou de l’autre ne comporte pas de changements de sens, même si une des formes est plus recommandée ou caractérisée par les grammaires et les dictionnaires comme plus cultivée : bisturí « bistouri » → bisturís ~ bisturíes, club « id. » → clubs ~ clubes, iraní « Iranien » → iranís / iraníes (GRAE : 43 ; DPD). Ce sont, donc, des pluriels sélectifs.
Tous les cas de doubles pluriels, que nous avons vus jusqu’ici, se réfèrent aux substantifs qui possèdent deux formes de pluriel. Cependant, en espagnol la pluralización doble s’applique également, parfois, à la formation de certaines formes plurielles de lexies composées qui sont constituées de deux substantifs sans amalgame phonologique. Les deux éléments reçoivent, alors, la marque de la pluralité : actor director « acteur directeur », rey poeta « roi poète » → actores directores, reyes poetas (Zacarías Ponce de León, 2014: 104). Dans la même langue, les pluriels doubles (esp. plurales dobles) désignent, quelquefois, les formes dépluralisées (intralinguistiques). Ainsi, en esp. louisianais on a créé les formes pieses « pieds » et cafeses « cafés » dans lesquelles nous distinguons deux suffixes pluriels, c’est-à-dire : pie « pied » + s + es → pieses et café « id. » + -s + -es → cafeses (Pratt, 2004 : 90 ; Samper Padilla, Hernández Cabrera, 2008: 398). Nous devons souligner que dans ces formes le suffixe, qui a été « doublé », ne s’accole pas aux bases lexicales durant le processus de l’emprunt, car pie et café étaient déjà présents dans le système de la langue espagnole. De plus, cette marque de pluralité (-s ~ -es) n’est pas d’origine étrangère. Ce type d’accumulation de suffixes, peut être trouvé également dans de nombreuses langues et dans d’autres familles linguistiques. En effet, dans le mandchou, il existe la possibilité d’accumulation de suffixes du pluriel qui s’ajoutent aux lexèmes. Ainsi, les suffixes -si et -sa, qui expriment la pluralité, s’accolent aux substantifs de la manière suivante : mnc. aha « serviteur » → ahasi « serviteurs » → ahasisa « id. » (Tulisow, 2004 : 19). Cette dernière forme possède, alors, deux marques du pluriel. Ce type d’accumulation de suffixes, appelé aussi par certains linguistes double plural (Stump, 1990: 114; Acquaviva, 2008: 66 ; Robinson, 2022: 3 ; Lecarme, 2002 : 122), peut être trouvé dans d’autres langues, entre autres, en breton ou en somali:
bret. bugel « enfant » → bugale → bugaleoù
bret. merc’h « fille » → merc’hed → merc’hedoù
som. nín « homme » → nimán → nimanyaál
som. gabádh « fille » → gabdhó → gabdhayów
Comme nous venons de le démontrer, le pluriel double est un type d’accumulation de suffixes qui, à notre avis ne doit pas être confondue avec la dépluralisation. Celle-ci se produit quand le marqueur du pluriel perd sa fonction, par exemple durant le processus de l’emprunt, et le mot n’est plus ressenti comme une forme plurielle. Voici quelques exemples extraits de différentes langues.
Ang. invoice « facture » (pl. invoices) vient du fr. envois pluriel du substantif envoi (auj. envoy) (Wekley, 1922 : 118 ; ODEE). De même, ang. apprentice « apprenti » (pl. apprentices) vient du fr. apprentis qui est le pluriel d’apprenti (Wekley, 1922 : 118 ; ODEE).
En esp. certains italianismes ont été dépluralisés : it. m. pl. paparazzi (← paparazzo m. sing.) > esp. paparazzi m. sing. → paparazzis m. pl., it. m. pl. spaghetti (←spaghetto m. sing.) > esp. espagueti m. sing. → epsaguetis m. pl., it. ravioli m. pl. (← raviolo m. sing.) > esp. ravioli m. sing. → raviolis m. pl. (DUE). Nous pensons que ces dépluralisations se produisent, d’une part, parce que ces mots évoquent des concepts qui apparaissent, normalement, au pluriel, et, d’autre part, parce qu’en espagnol la terminaison -i n’est pas associée à la marque du pluriel.
Néanmoins, la dépluralisation en espagnol concerne également des mots d’autres origines. Ainsi, esp. chaval m. « fam. jeune homme » (pl. chavales) vient du caló, utilisé en Andalusie, dans lequel čavále est le vocatif pluriel du substantif čavó « fils, jeune homme » (DCECH ; DUE).
En polonais, de nombreux anglicismes sont empruntés au pluriel. Ceci est dû au fait que le morphème -s, en polonais, et dans les autres langues slaves, n’est pas associé au pluriel et il est traité comme une terminaison de la base lexicale. Afin d’exprimer la pluralité, un nouveau suffixe est donc accolé à ces mots. Étant donné le nombre d’anglicismes dépluralisés en polonais, nous distinguons à titre d’exemples trois groupes de ce type de mots :5
les substantifs qui apparaissent en paires ou représentent des objets symétriques : pol. jeansy < ang. jeans pl. (← jean sing.), klips « clip » < ang. clips pl. (← clip sing.), pol. szorty « short » < ang. shorts pl. (← short sing.), pol. tips sing. « faux ongle » < ang. tips pl. (← tip sing.) ;
les substantifs qui apparaissent en groupe : pol. komandos m. sing. « commando » < ang. commandos pl. (← commando sing.), pol. Eskimos m. pl. « Esquimau » < ang. Eskimos pl. (← Eskimos), pol. Jankes m. sing. < ang. Yankees pl. (← Yankee sing.) ;
les noms de mets ou amuse-gueules qui sont consommés en grande quantité : pol. chips m. sing. « id. » < ang. chips pl. (← chip sing.), pol. drops « bonbon acidulé » < ang. drops pl. (← drop sing.), pol. krakers m. sing. < ang. crackers pl. (← cracker sing.).
En polonais tous ces anglicismes obtiennent, alors, au pluriel un nouveau morphème de pluralité : jeansy, klipsy, szorty, Eskimosi, komandosi, Jankesi, chipsy, dropsy, krakersy.
Observons que le même type de dépluralisation d’anglicismes, que nous venons de commenter, est présent dans d’autres langues slaves, par exemple, en russe : ang. cackes > rus. кекс m. sing. → кексы m. pl., ang. jeans > rus. джинсы, ang. shorts > rus. шорты, ang. tips > rus. типсы (Kwiatkowska, 2015 : 164–165).
De surcroît, le suffixe -s~-es, qui exprime la pluralité, se trouve en pol. non seulement dans les anglicismes, mais aussi dans des emprunts d’autres origines. En voici quelques exemples : esp. silos m. pl. (silo m. sing. « id. ») > pol. silos m. sing. → silosy m. pl., port. cocos m. pl. (← coco m. sing. « id. ») > pol. kokos m. sing. → kokosy m. pl. (SWO ; Kreja, 1963: 30). Il est à noter que le français ne dépluralise pas ces mots (silo, coco) parce que le suffixe -s~-es qui exprime le pluriel est employé aussi bien en français qu’en espagnol ou en portugais.
D’autre part, dans le cas des locuteurs bilingues il est relativement fréquent que deux systèmes linguistiques se mélangent. Ainsi, parmi les locuteurs nahua-espagnol on retrouve des formations où un mot reçoit deux marques du pluriel, une d’origine espagnole et l’autre d’origine nahuatl. Ainsi, dans, camion-es-tin (← camión « camion ») il est possible de discerner les suffixes esp. -es et le suffixe nah. -tin (Lastra, 1992 : 208).
Enfin, nous ne devons pas confondre la dépluralisation avec la singularisation. Ce dernier terme, rarement utilisé, mais, parfois, appliqué aux mots qui ont souffert de la dépluralisation (Kreja, 1963: 36), se réfère à la situation où les locuteurs créent la forme du singulier (= singularisation) à partir d’un mot interprété comme sa forme du pluriel. Voyons quelques exemples.
En judéo-espagnol (ladino), les Séfarades ont considéré le substantif Dios « Dieu » (< lat. Deus « id. » > fr. Dieu) en tant qu’une forme plurielle dont ils ont isolé le prétendu morphème -s et ils l’ont interprété, par réanalyse, comme une marque du pluriel. Ils ont créé, alors, la forme Dio comme la forme singulière (cf. esp. Dios, port. Deus) (Ridruejo, 1989: 88 ; Lapesa, 1981 : 125).
En anglais sherry « vin blanc de la région de Jerez » est un hispanisme singularisé, car ce substantif provient du nom de la localité espagnole Xeres (de la Frontera) (aujourd’hui Jerez de la Frontera). Le -s final a été interprété comme un morphème qui exprime le pluriel. Xeres a été, donc, singularisé et adapté orthographiquement, phonétiquement et morphologiquement à la forme ang. sherry. Celle-ci a été répandue dans de nombreuses langues, entre autres, en al. Sherry, fr. sherry, it. sherry, pol. sherry, et même en esp. sherry où nous avons, par conséquent, à voir avec un emprunt aller-retour (DUE).
Le vocable assez de l’anc. fr. est passé en ang. sous les formes asetz ~ assetz où la consonne finale a été considérée comme la marque du pluriel et le mot est devenu asset « avantage ; atout » (pl. assets) (Wekley, 1922 : 117).
En définitive, les trois mots, que nous venons d’étudier (lad. Dio ; ang. sherry, asset), doivent leurs formes, non pas à la dépluralisation, mais à la singularisation.
Précisons, cependant, que dans certains cas, durant le processus de l’emprunt, se produisent des phénomènes qui sont à mi-chemin entre la dépluralisation et la singularisation. L’emprunt est interprété comme un pluriel et la réanalyse de la forme du mot importé mène à la singularisation de celle-ci. Elle conduit, néanmoins, à une fausse coupe morphologique qui provoque que la marque du pluriel demeure partiellement dans la forme de l’emprunt (= singularisation partielle). Ainsi, en ang. tamale « sorte de papillote amérindienne » est un emprunt qui vient de l’esp. tamales c’est-à-dire, le pluriel du substantif tamal m. « id. » (Algeo, 1996: 16). Comme nous pouvons le constater seulement la consonne finale (-s) a été identifiée comme le suffixe pluriel espagnol. Rappelons, cependant, qu’en espagnol les substantifs qui se terminent au singulier par une consonne, créent leurs pluriels par l’adjonction du suffixe -es : hotel « id. » → hoteles, reloj « montre » → relojes et tamal → tamales. La voyelle e qui se trouve à la fin de la forme anglaise (tamale) est, donc, le résultat d’une réanalyse erronée. Par conséquent, c’est un mot qui a souffert aussi bien de la singularisation ainsi qu’un type de dépluralisation.
Étant donné que les questions terminologiques ont été éclaircies plus haut, dans la suite, nous allons nous occuper de la dépluralisation en français. Celle-ci concerne de nombreux mots que nous allons classifier conformément aux langues desquelles proviennent les morphèmes qui expriment la pluralité. De plus, soulignons que nous n’allons pas indiquer tous les cas dans lesquels il s’agit de dépluralisation, car ceci dépasserait les limites de cette étude. Les groupes linguistiques que nous allons traiter et qui ont contribué à l’assimilation des formes dépluralisées par le français sont : les langues sémitiques (3.1.) et les langues romanes (3.2). Les autres formes constitueront un groupe indépendant qui intègre des marqueurs de pluralité de diverses origines (3.3.).
Avant de passer en revue les données que nous avons enregistrées, nous devons insister sur le fait que dans cette recherche nous nous concentrons exclusivement sur la dépluralisation interlinguistique et la dépluralisation intralinguistique pourra, donc, constituer l’objet d’un autre article.
Les langues sémitiques, l’arabe et l’hébreu ont fourni un certain nombre de mots à la langue française qui ont été dépluralisés. Leur trait commun, en plus de leurs origines, est l’existence de certains affixes grâce auxquels sont créées les formes plurielles.
Fr. assassin m. « tueur à gages » puis « personne qui commet un assassinat » (pl. assassins) vient probablement, par l’intermédiaire de l’it. assessino m. ou assassino m. de l’ar. ’assāsīn qui est le pluriel de ’assās « gardien (de la loi) » et ’asas « patrouille » (DEAR ; DHLF ; Walter, 2006 : 125)6.
Fr. ayatollah m. « titre donné aux principaux chefs religieux et l’islam chiite » (pl.) est un emprunt à un substantif composé arabe où ’āyāt- est le pluriel de ’āya « signe, preuve de Dieu » et allah « le Dieu » (DEAR ; DHLF ; DEH ; TLF).
Fr. azimut m. « angle formé par le plan vertical d’un astre et le plan qui passe par les pôles et le point d’observation » (pl. azimuts) < ar. as-sumūt qui est le pluriel de as-samt « le chemin », « le point d’horizon » (DEAR). Ce dernier remonte, à son tour au lat. semita « chemin » (DEAR).
Fr. bédouin m. et adj. « arabe nomade du désert » (pl. bédouins) < ar. badawīn qui est le pluriel de badawiy « habitant du désert » (DEAR ; DHLF).
Fr. casanier adj. et m. « qui aime à rester chez soi » (pl. casaniers) vient de l’it. casaniere « prêteur d’argent » qui est un dérivé de casana « boutique du prêteur ». Celui-ci est issu, par l’intermédiaire du vénitien et du turc hazne « trésor », de l’ar. ḫazana qui est la forme plurielle de ḫāzin « trésor » (DEAR ; DHLF).
Fr. chleu ~ chleuh adj. et m. « Allemand » < ar. mar. šlöḥ qui est la forme pluriel de šelḥ « nom d’une tribu berbère du Maroc », dont šölḥa étant le nom de sa langue (DEAR ; DHLF).
Fr. djinn m. « dans les croyances musulmanes, esprit bienfaisant ou démon » (pl. djinns) < ar. ğinn « démons » qui est le pluriel collectif de ğinni (DEAR ; DHLF ; TLF ; Walter, 2006 : 144).
Fr. fedayin ~ feddayin m. « résistant, spécialement résistant palestinien, qui mène une action de guérilla » (pl. fedayins ~ feddayins) est un emprunt à l’ar. fidā’iyyīn qui est la forme plurielle de fidā’ī « (celui) qui se sacrifie », dérivé de fada « payer une rançon » (DEAR ; DHLF ; TLF ; Walter, 2006 : 144).
Fr. fellaga ~ fellagha m. « partisan algérien ou tunisien qui a combattu contre l’autorité française pour obtenir l’indépendance de son corps » (pl. fellagas ~ fellaghas) < ar. fellāga qui est le pluriel de fellāg « bandit de grand chemin (en Tunisie et dans le Sud algérien) » (DEAR ; DHLF ; TLF ; Walter, 2006 : 144).
Fr. flouse ~ flouze m. « arg. argent » (pl. flouses) < ar. maghr. flūss qui est issu de l’ar. class. fulūs « argent » qui est le pluriel de fals, fils « nom d’une ancienne monnaie arabe » (DEAR ; DHLF ; Walter, 2006 : 145).
Fr. gour m. « fragments de plateau isolés par l’érosion éolienne, formant butte » (pl. gours) < ar. gūr qui est le pluriel de gara « butte tabulaire à flancs raides » (DEAR ; TLF).
Fr. houri f. « dans le Coran, vierge du paradis, promise comme épouse aux croyants » puis « femme très belle » (pl. houris) vient, par l’intermédiaire du pers. dans lequel on a accolé le suffixe d’unité persan -ī, de l’ar. ḥūr qui est la forme plurielle de ḥaurā, féminin de ’aḥwar adj. « qui a le blanc et le noir des yeux très tranchés » (DEAR ; DHLF).
Fr. magasin m. « local aménagé pour qu’on y entrepose des marchandises » puis « établissement de commerce où l’on vend des marchandises en gros ou en détail » (pl. magasins) vient, par l’intermédiaire de l’it. ou le prov., de l’ar. maḫāzin qui est le pluriel de maḫzan « entrepôt » c’est-à-dire le nom de lieu dérivé du verbe ḫazana « assembler, amasser, stocker » (DEAR ; DHLF ; TLF ; DEH ; Walter, 2006 : 154). Indiquons encore que le substantif fr. magasin a été ultérieurement emprunté par l’ang. magazine où le mot a pris le sens figuré de « ensemble, arsenal d’informations » et qui ensuite a été réemprunté par le fr. sous la forme magazine m. « publication périodique, le plus souvent illustrée, qui traite des sujets les plus divers » (TLF ; DHLF ; DEH ; Deroy, 1956 : 20). Celui-ci est donc un emprunt aller-retour. En plus, magasin et magazine constituent, donc, un doublet d’origine arabe.
Fr. moudjahidin ~ moudjahiddin m. « combattant de divers mouvements de libération nationale du monde musulman » (pl. moudjahidins) < ar. muğahidīn qui est la forme plurielle de muğahid « combattant de la guerre sainte » (DEAR ; DHLF ; Walter, 2006 : 159). Notons que dans celui-ci nous trouvons le mot ğihād (en transcription djihad) « guerre sainte menée pour propager, défendre l’islam » (DHLF). Le mot fr. moudjahid est aussi employé dans le même sens que moudjahidin ~ moudjahiddin.
Fr. musulman adj. et m., f. « personne qui professe la religion islamique » (pl. musulmans) qui a été emprunté, par l’intermédiaire du turc müslüman, remonte au pers. musulmān ~ musliman m. pl. « adeptes de la religion islamique » où -ān marque le pluriel des noms animés (DEAR ; DHLF). La forme persane est issue, à son tour, de l’ar. muslim « id. » qui est le participe actif du verbe aslama « se confier, se soumettre, se résigner à la volonté de Dieu » (DEAR ; DHLF). Mentionnons que le nom d’action de ce verbe est īslām (DHLF).
Fr. nabab m. « dans l’Inde musulmane, gouverneur ou grand officier de la cour » puis « homme riche et fastueux » (pl. nababs) est un emprunt, par l’intermédiaire du port. nababo, à l’hindoustani nawwāb « vice-roi, gouverneur » qui remonte à l’ar. nuwwāb qui est le pluriel de nā’ib « lieutenant, vice-roi » et « remplaçant, représentant » (cf. ar. nāba « remplacer, représenter » (DEAR ; DMOE).
Fr. ouléma ~ uléma m. « docteur de la loi musulmane » (pl. oulémas ~ ulémas) est issu de l’ar. ‘ulamā’ qui est la forme pluriel de ’ālim « savant » (DEAR ; DHLF ; Walter, 2006 : 164).
Fr. sarrasin m. « musulman, pour les Occidentaux du Moyen Âge » (pl. sarrasins) < bas. lat. saraceni qui est le pluriel de saracenus « nom d’une tribu d’Arabie, étendu par les Byzantins à tous les peuples sous gouvernement arabe » (DEAR ; DHLF). Ce mot remonte à l’ar. šarqiyyīn qui est le pluriel de šarqi « oriental » (DEAR ; DHLF ; Walter, 2006 : 170).
Fr. souahéli ~ swahili adj. et m. « qui se rapporte aux Swahili ; qui fait partie de ce peuple » et « langue bantoue parlée dans l’est de l’Afrique » (pl. souahélis ~ swahilis) vient, probablement par l’intermédiaire de l’anglais, de l’ar. sawāhil qui est le pluriel de sāhil « bord de la mer » (DEAR ; DHLF). Ce dernier a été aussi emprunté par le fr. au cours du XIXème siècle et désigne « région de collines littorales en Afrique du Nord » (DEAR ; DHLF).
Fr. taliban m. ~ taleban « membre d’un mouvement afghan fondamentaliste » (pl. talibans ~ talebans) est issu, par l’intermédiaire du mot persan tālibān qui est la forme plurielle du substantif ar. tālib « étudiant » (DEAR ; Turek, 2001 : s. v. ; Walter, 2006 : 174).
Fr. touareg adj. et m., f. « relatif à un peuple nomade du Sahara, de race blanche, parlant une langue berbère » (pl. touaregs) < ar. maghr. Tawarig qui est le pluriel de targi « du même sens » qui est d’origine berbère (DEAR ; DHLF). Notons que targui « id. », issu aussi de l’ar. maghr. targi, est également utilisé en fr. et concurrence dans cet emploi touareg qui est, selon les dictionnaires, abusivement employé au singulier (DEAR ; DHLF).
Fr. varan m. « grand reptile saurien carnivore d’Afrique et d’Asie » (pl. varans) < ar. warlān qui est le pluriel de waral « lézard géant » (DEAR ; TLF).
Fr. chérubin m. « dans les religions juive et chrétienne, catégorie d’anges » (pl. chérubins) vient, par l’intermédiaire du lat. ecclés. cherubim, de l’hébr. kerubim qui est la forme pluriel de kerūb « sorte d’ange » lui-même venant de l’akk. où karūbu signifie « gracieux » (DHLF ; DMOE ; DEH ; Deroy, 1956 : 278).
Fr. séraphin m. « dans la religion chrétienne, ange supérieur, représenté avec trois paires d’ailes » (pl. séraphins) < lat. ecclés. seraphim ~ seraphin « id. » qui vient, à son tour, de l’hébr. serafīm qui est la forme pluriel de seraf « id. » et appartenant à la même famille lexicale que śāraf « brûler » (DHLF ; DEH ; DMOE ; Deroy, 1956 : 278).
Enfin, rajoutons une forme d’origine araméenne. Ainsi, fr. rabbin m. « docteur de la Loi juive chargé de l’enseigner et de la faire appliquer » (pl. rabbins) vient, par l’intermédiaire du lat. ecclés., de l’araméen rabbīn qui est le pluriel de rabb « maître » (DHLF).
Parmi les langues romanes, l’italien est celui qui a fourni le plus de formes dépluralisées au français.
Fr. brocoli m. « chou-fleur vert à plusieurs petites pommes », brassica oleracea (pl. brocolis) < it. broccoli qui est la forme plurielle de broccolo m. « variété de chou » (DHLF). Celui-ci est le diminutif avec le suffixe -olo de brocco « rameau pointu, pousse » qui est de la même origine que le fr. broche « instrument, pièce à tige pointue » (DHLF ; DEH ; TLF).
Fr. céleri ~ cèleri m. « plante potagère dont on consomme les tiges ou la racine », apium graveolens (pl. céleris) < lomb. seleri qui est le pluriel de selero m. étant le pendant de l’it. sedano issu du lat. tard. selinon « persil, céleri » venu du gr. σέλινον (DHLF ; DEH ; TLF).
Fr. confetti m. « petite pastille de papier coloré qu’on lance par poignées dans les fêtes » (pl. confettis) < it. confetti qui est le pluriel de confetto m. « dragée » issu du lat. confectus « préparé » (cf. fr. confit) dérivé du lat. conficere « préparer, confire » (DHLF ; DEH ; TLF ; DMOE).
Fr. gnocchi m. « boulette à base de semoule de blé ou de pommes de terre, pochées puis servie gratinée ou avec une sauce tomate » (pl. gnocchis) < it. gnocchi qui est le pluriel de gnocco « boulette de pâte » (DHLF ; DMOE ; TLF).
Fr. graffiti m. « inscription, dessin griffonnés ou gravés à la main sur le mur » (pl. graffitis) < it. graffiti qui est le pluriel de graffito m. « id. » (DMOE ; DEH ; TLF).
Fr. lazzi m. « plaisanterie moqueuse » (pl. lazzis) < it. lazzi qui est le pluriel de lazzo « jeu de scène comique, saillie bouffonne » (DHLF ; DEH ; TLF ; DMOE).
Fr. macaroni m. « pâte alimentaire de semoule de blé dur, moulée en larges tubes » (pl. macaronis) < it. du Sud maccaroni qui est le pluriel de maccarone m. (it. maccherone) « sorte de pâtes alimentaires » (DHLF ; DEH ; DMOE ; TLF).
Fr. mercanti m. « commerçant malhonnête, âpre au gain » (pl. mercantis) et emprunté, par l’intermédiaire du sabir de l’Afrique du Nord, à l’it. mercanti qui est le pluriel de mercante m. « trafiquant » (TLF ; DHLF).
Fr. nervi m. « homme de main ; sbire » < it. nervi qui est le pluriel de nervo « vigueur » (DEH)7.
Fr. ravioli m. « petit carré de pâte farcie de viande hachée cuit à l’eau » (pl. raviolis) < it. ravioli qui est la forme pluriel de raviolo m. « pâte farcie de viande » (DHLF ; DEH ; DMOE ; TLF).
Fr. salami m. « gros saucisson sec à viande finement hachée » (pl. salamis) < it. salami qui est la forme pluriel de salame m. « chose salée, viande salée » dérivé de sale « sel » du lat. sal « sel » (DHLF ; DEH ; DMOE ; TLF).
Fr. spaghetti m. « pâtes alimentaires fines et longues » (pl. spaghettis) < it. spaghetti qui est le pluriel de spaghetto qui est le diminutif de spago « ficelle, corde » (DHLF ; DEH ; DMOE ; TLF).
Notons que la marque du pluriel se trouve, parfois, à l’intérieur du mot. Ainsi, dans, fr. filigrane m. « ouvrage d’orfèvrerie orné de grains » (XVIIe s.), puis, « marque, dessin se trouvant dans le corps d’un papier et que l’on peut voir par transparence » (XIXe s.) (pl. filigranes) < it. filigrana f. « fil à grains » qui est composé de fili, le pluriel de filo « fil » (< lat. filum → fr. fil) et de grana « grains », issu du lat. granum (> fr. grain) (DHLF ; DEH ; DMOE ; TLF). Le suffixe pluriel italien est inséré, alors, dans la base de filigrane.
Nous devons noter que dans certains italianismes le suffixe pluriel -s a été accolé non seulement à la forme dépluralisée au pluriel mais aussi au singulier. Ainsi, fr. colis m. « paquet destiné à être expédié » (pl. id.) < it. colli m. qui est le pluriel de collo « charges portées sur le cou (it. collo) » (DHFL ; DEH ; TLF).
En ce qui concerne les autres langues romanes, nous pouvons indiquer un exemple de dépluralisation venu du portugais ainsi qu’un autre d’origine espagnole.
Pour le portugais citons fr. pamplemousse m. « fruit comestible du pamplemoussier », citrus paradisi (pl. pamplemousses), est un emprunt au néerl. pompelmoes qui est composé de pompel « épais, gros » et limoes « citron » (DEH ; DMOE ; DHFL ; TLF). Ce dernier est issu du port. limões qui est le pluriel de limão « citron » (DHFL).
D’autre part, fr. mérinos m. « mouton de race espagnole » puis « le tissu fabriqué avec sa laine » et par métonymie « la laine de ce mouton et le tissu qui en sort » (pl. id.) < esp. merinos qui est le pluriel de merino m. « id. » (DHFL ; TLF ; DEH).
Fr. heiduque ~ haïdouc ~ haïdouk m. « fantassin hongrois », « patriote chrétien des Balkans, membre des troupes irrégulières qui résistèrent au XIXe siècle contre l’occupant turc » et « brigand » (pl. heiduques ~ haïdoucs ~ haïdouks) < hong. hajdúk qui est le pluriel de hajdú « fantassin hongrois » et « vacher armé qui peut devenir à l’occasion un mercenaire, brigand ou maraudeur » (TLF ; ESJP ; SWO ; Zaręba, 1951: 124 ; Bárczi, Országh, Balázsi, 1992). Il est intéressant d’observer que ce mot hongrois a une forme dépluralisée dans de nombreuses langues, entre autres : tch. hajduk (Rejzek, 2015: s.v.), pol. hajduk (SWO), rum. haĭdúc (Cihac, 1879: 503).
Fr. Inuit m. « Esquimau » (pl. Inuits) vient de la langue ainsi désignée, appelée aussi inuktitut où -titut a la signification de « à la manière de » (cf. fr. -ment), dans laquelle inuit signifie « les hommes » et est à la forme pluriel du substantif inuk « un homme » (DHLF). Le mot inuit est d’un usage courant en français du Canada, où eskimo ~ esquimau est proscrit à la requête des intéressés (DHLF).
Fr. pirojki m. pl. « dans la cuisine russe, petit pâté farci de viande, de poisson, de légumes » < rus. пирожки qui est le pluriel de пирожок m. « petit pâté » (cf. pol. pierożek) qui est le diminutif de пирог (DHLF ; TLF). Le pluriel de ce dernier пероги est le pendant du pol. pierogi « dans la cuisine polonaise, petit pâté farci de pommes de terre, de viande, de chou ou de champignons » qui est le pluriel de pol. pieróg. Le substantif pierogi (pl. pierogis) n’est pas répertorié dans : le DMOE, le TLF, le DHLF ou DEH mais il est utilisé dans de nombreux textes français sur la gastronomie polonaise.
Fr. drakkar m. « navire utilisé par les Vikings au moyen âge dont la proue était ornée d’un dragon » (pl. drakkars) < sv. drakkar qui est la forme pluriel de drake « dragon » et, par métonymie, « navire » (DHLF ; DMOE ; DEH ; TLF). Observons qu’en suédois le substantif drake remonte, par l’intermédiaire de l’ancien nordique, au lat. draco, -ōnis d’où vient également le substantif fr. dragon m. « animal fabuleux, généralement représenté avec des griffes, des ailes et une queue de serpent ».
Dans cet article nous nous sommes occupés de la dépluralisation. Celle-ci, bien qu’elle ait été traitée quelques fois dans d’autres langues, par exemple en polonais, en français elle n’a pas été décrite en détail. Néanmoins, comme nous l’avons démontré, en français elle n’est pas un phénomène marginal, mais elle ne doit pas être confondue avec la singularisation, l’accumulation de suffixes ou les pluriels doubles. La dépluralisation est liée à la réanalyse des morphèmes qui expriment la pluralité. Ces morphèmes sont souvent interprétés comme la partie finale de la racine et ils sont souvent de caractère vocalique (it. salame → salami > fr. salami → salamis) ou consonantique (hong. hajdú → hajdúk > fr. haïdouk → haïdouks). La marque du pluriel, quelquefois, se trouve à l’intérieur du mot (it. filo → fili + grana → filigrana > fr. filigrane → filigranes). De surcroît, la marque du pluriel, par exemple celle qui est d’origine sémitique, parfois, est devenue une partie intégrale de la racine dans des familles lexicales : assassin → assassiner, assassinat ; magazin → magaziner, magasinage, magasinier, etc.
De même, il est intéressant de constater qu’il y a des substantifs, initialement pluriels, qui ont servi à créer plusieurs autres lexies composées et ces substantifs se comportent comme des formes singulières. Indiquons à titre d’exemple : lat. sing. n. medium → pl. n. media > ang. media > fr. média → médiathèque, médiatique, médiatiser, médiatisation, multimédia, etc.
En ce qui concerne les raisons de la dépluralisation, nous pouvons en signaler deux.
En premier lieu, la dépluralisation est plus fréquente dans les emprunts d’une langue à l’autre si les marqueurs du pluriel dans ces deux langues ne sont pas les mêmes. Ainsi, il y a de nombreux anglicismes dépluralisés en polonais ; en revanche, ceux-ci en français sont rares, car l’anglais et le français partagent le même suffixe qui exprime la pluralité -s~-es (cf. pol. Eskimos « Esquimau », pol. komandos « commando »). En français il y a, néanmoins, un grand nombre d’italianismes et arabismes dépluralisés. Les différences de marqueurs de la pluralité entre les deux langues expliquent aussi de nombreux cas de la dépluralisation intralinguistique, par exemple, lat. prunum sing. n. → pruna pl. n. > fr. prune.
En deuxième lieu, les mots qui, dans une langue, sont le plus souvent utilisés au pluriel, sont empruntés par les autres idiomes sous la forme plurielle et tenus, donc, par erreur pour des singuliers (Deroy, 1956 : 277). Il s’agit des groupes de gens (Touareg, moudjahidin, musulman, Inuit) ou un ensemble d’objets : confetti, macaroni, ravioli, tortellini, etc.
Finalement, rappelons que dans cette recherche nous nous sommes concentrés, avant tout, sur la dépluralisation interlinguistique et nous avons mis à part la dépluralisation intralinguistique. Nous sommes convaincus que celle-ci pourrait constituer l’objet d’un autre travail.
akk. – akkadien, ang. – anglais, ar. – arabe, ar. maghr. – arabe maghrébin, ar. mar. – arabe marocain, arg. – argot, bas lat. → lat. tard., esp. – espagnol, fr. – français, hébr. – hébreu, hong. – hongrois, it. – italien, jap. – japonais, lat. – latin, lat. ecclés. – latin ecclésiastique, lat. tard. – latin tardif, lomb. – lombard, mnc. – mandchou, nah. – nahuatl, pol. polonais, prov. – provençal, port. – portugais, rum. – rumain, sv. – suédois, svk. – slovaque, tch. – tchèque.
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TLF : Trésor de la langue française, http://www.atilf.atilf.fr.
Notons que le suffixe esp. -aje est aussi d’origine française.↩︎
L’origine du mot albinos n’est pas claire. En effet, selon les deux théories les plus répandues le terme serait soit un hispanisme soit un lusophonisme (Sorbet, 2015 : 387).↩︎
En français nous avons, alors, à faire avec un emprunt aller-retour.↩︎
Certains substantifs polonais, en plus du pluriel régulier, possèdent un deuxième pluriel qui continue une ancienne forme du duel.↩︎
Les anglicismes dépluralisés en polonais ont constitué l’objet de quelques recherches dans lesquelles il est possible de trouver des listes de mots beaucoup plus complexes : Altbauer (1955), Fisiak (1961), Kreja (1963), Cyran (1975).↩︎
Notons que l’étymologie très répandue selon laquelle fr. assassin serait venu d’un mot ar. qui signifierait « fumeurs de hachis » (DEH ; DMOE ; Walter, 2006 : 125) est très critiquée par les orientalistes (DEAR ; DHLF).↩︎
Le substantif nervi, selon le TLF et le DHLF serait issu du provençal.↩︎